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Début de mars 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Semaine de beau temps, printemps. Le calendrier dit non, le merle du matin qui chante le réveil dirait plutôt, évidemment en hauss,ant les épaules, tu n’as qu’à ouvrir la fenêtre, sors donc tu verras par toi-même. Sortons donc.
Le dehors se remplit de tout ce que l’on voit, de ce qu’on ne voit pas, et puis principalement de tout ce qu’on n’a pas encore vu. Pas si simple de les voir, toutes ces nouveautés, il faut les regarder et parfois les chercher, garder une petite place dans nos têtes encombrées pour que l’image reste de ce que nos yeux ont approché, juste frôlé, effleuré. Comme parler du même livre avec une autre personne qui aura repéré un passage différent, un aspect différent, parfois si différent qu’on relira le livre pour y lire ça aussi qui nous a échappé.
Heureusement pour les fleurs, les couleurs nous aident. Le jaune jaune des jonquilles se verra de plus loin que le jaune clair des primevères, le longue distance jaune vert des hellébores d’hiver, présentes depuis longtemps. Et puis d’autres couleurs, le violet du crocus, le pourpre du lamier et sa gueule grande ouverte, mais aussi les odeurs avec celle des violettes qui s’installent en groupe, plus rarement isolées, ce qui aide à les voir même quand, en se promenant, on penserait à autre chose, à cet état du monde du côté des humains qui laisse peu de place pour les admirations.
Avec le chaud reviennent aussi les animaux qu’on avait oubliés, comme les petits lézards, timides mais curieux avec qui on s’exerce à jouer au plus patient, aussi beaucoup de volants, les mouches et les moucherons et les premières abeilles, impatientes, imprudentes. Quand on regarde plus grand, se repaître des formes de la terre encore nue, des grattements des sous-bois qui sont lits pour un jour, quand aux endroits ouverts les vielles enveloppes des végétaux jaunis, aplatis par la neige laissent encore apparaitre, creux et bosses, bosselettes avant que les herbes nouvelles n’imposent au relief leurs vallonnements à elles suivant leurs tailles à elles et leurs contraintes à elles qui changent les paysages, gommant et creux et bosses pour en inventer d’autres juste le temps d’une été. Texture de perspective qui se laissera faire par les caresses du vent, se penchera sous la pluie ou le trop de soleil, mais remplacera quand même les vagues de la terre par ses vagues à elle en attendant l’hiver qui effacera le tableau

Le nez

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Ça commencera par là, par le nez, par le pif. Pas d’écouteurs pour lui, de paupières pour le clore, pas de dents à serrer pour qu’il puisse éviter tout le désagréable, pas de mains dans les poches pour rester entre soi. Le nez attrapera tout, il suffit de l’écouter, même s’il n’a pas les mots. Il a les mots des choses, pas les mots des odeurs comme les yeux, les veinards, ont les mots des couleurs, des formes et des valeurs. Maintenant qu’on est humains et qu’on se tient debout, on l’a bien éloigné de ce qu’il doit sentir, on lui fait la vie dure, on le délaisse un peu, au pays du bitume on l’accuserait même d’être une porte d’entrée pour les toxicités qu’on a déposées là. Pourtant parfois le nez nous dit encore le monde, à sa manière sans mots il nous dit d’aller voir de plus près sous les feuilles, gratter au pied des arbres pour voir les champignons, il nous dit que juste là, on a posé le pied sur une touffe de thym et que la belle feuille verte est celle de l’ail des ours et non pas du muguet. Il nous dira aussi qu’une bête a dormi là, les yeux confirmeront qu’elle a gratté la terre, enlevé toutes les feuilles, les brindilles et les pierres pour retrouver l’humus quand nous autres humains, accumulons les couches, de litières, de matelas, pour nous en isoler, malgré les sons qui disent les liens forts qui unissent, et humus et humain. Quand le jour se fera sombre, ce sera encore le nez qui nous dira le feu, sa fumée, son fumet, que là on trouvera chaleur et compagnie, et la marmite de soupe pour réchauffer l’hiver en attendant l’été et ses fleurs qui feront dire à l’humain que l’on reste, même à celui des villes, que c’est quand même bien que nous ayons gardé cet appendice, ce cap, au milieu de la figure, pour sentir les parfums frais comme des chairs d’enfants, doux comme des hautbois, verts comme des prairies

Lecture en cours : « L’Appel des odeurs », Ryoko Sekiguchi