Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours unpeu trop vite
Feuille à feuille, mot à mot, les lire et les relire, en suivre les petites lignes jusqu’à la feuille suivante et le long du pétiole qui nous mènera au tronc, au mystère des racines, aux racines du mystère. Feuille de route, feuille volante, feuille simple ou bien feuille double pour les compositions en souvenir de l’école et de ces feuilles blanches qu’il nous fallait noircir comme les feuilles d’un livre quand les vraies feuilles dehors ondulaient dans le vent et chantaient leurs sourires pour nous réconforter à chaque coup d’œil furtif glissé par la fenêtre. Mélanger feuilles et feuilles en un herbier espiègle, entendre par écrit parler des arbres en vert, mélanger feuilles et feuilles pour le bonheur du vert, des feuilles qui vont par quatre chez le trèfle et tant d’autres, que l’on cherche en aiguille dans une meule de foin ou en phrase si belle qu’on en ferait citation tout en ayant, bien sûr, oublié de noter où elle était logée parmi le grand dédale de toutes les pages du livre. Mais ne pas croire, quand même, naïf ou encore vert, que toutes les plantes sont bonnes à se faire cuisiner, que toutes les feuilles de chou ont juré vérité, même si elles trompent rarement lorsqu’elles annoncent du noir, du terrible et des guerres quand les seules mortes qu’on aime ce sont les feuilles mortes qui nous parlent de l’automne, pour leurs couleurs de feu et leurs annonces de fruits. Alors sous les grands arbres, reprendre vie en lisant, rester dur de la feuille quand sonnent les lettres mortes et leurs fantômes pâles, avoir peur des pages blanches comme on a peur du noir dans l’enfance de nos nuits, aller chercher ailleurs d’autres pages plus suaves, ne pas juste lire en boucle des genres qui seraient l’air que la rainette recycle entre bouche et poumons pour nous livrer son chant, mais vivre le feuille à feuille en guise de bouche à bouche pour contempler le monde loin de toute feuille de vigne