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Glace

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Cette eau frigorifiée, épaissie par le froid, affermie jusqu’au bloc est une affaire d’état. La glace pour son bleu, pour son froid, pour son blanc et puis son translucide, son brillant et son lisse. Si volontiers s’y perdre, s’y laisser endormir par le froid de l’hiver, se laisser attendrir par sa solidité, elle pourtant si fragile, qui se brise et se fond dans nos ébats d’états. Du liquide au solide, du solide au liquide le temps d’un chaud et froid, maladie de ces temps de changements dérangeants. On y perdrait le bleu où se perdent nos yeux, ce goût de grandes vacances en cornet ou godet et juste un peu plus loin, le doux réconfortant des ours du grand nord. Contradiction de nos vues, entre la bonhommie tendre du nounours des petits et le grand prédateur qui se nourrit de viande, de celle des bébés phoques aux yeux tout aussi doux. Lois loin de sentiments, manger ou bien périr, simplicités de ces vies qu’on entend barbouiller de nos affects d’humains quand eux y font survie, sacrifiés en jouets par nos incohérences. Se regarder soi-même dans la glace de nos vies, et se voir tels qu’on est pour mieux s’amouracher de la vie tout entière, pour mieux briser la glace et tomber dans les bras du dehors tout autour, qu’il mange ou soit mangé. Aimer la glace de loin et fondre sous son charme, tout en gardant sagement la distance qui s’impose, au nom des bonnes raisons, ne pas trop l’approcher, éviter l’évidence de câliner trop près, la prendre dans nos bras, aimer jusqu’à tuer. Alors, à contrecœur lui vouer pour toujours une tendresse à distance, un amour platonique, loin des yeux, près du cœur. Réconfort discordant de la savoir bien là, sans se permettre jamais de se rapprocher d’elle, se contenter, transis, d’une brûlure théorique, de l’idée de sa présence. La connaître seulement en images et en mots, il manquera le corps, mais la tête y sera, elle complètera, habile, les couleurs , les reflets, la transparente texture, elle donnera à la glace, sans crainte de déconvenue, de ce bleu des glaciers qui n’a rien à envier au plus mythique des bleus qu’est le bleu des lointains, le bleu d’un peu plus loin dans l’espace et le temps

De l’autre côté de la glace

En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là.
Cornillon, Beaufortain, décembre 2023

Transparente, invisible et tangible, vulnérable et éternelle. Ici, la glace est saisonnière. Elle est venue se poser sur les ailes des fougères, installée tranquillement sur la surface d’une flaque, à la faveur d’une pluie, du plus froid, du plus chaud, de la neige transformée. Entre gel et dégel, elle oscille et hésite du liquide au solide. Elle fait des vagues, des plis et des drapés savants en souvenir de la nuit, de son froid qui la fige, qui empêche le mouvement. Une vitre qui protège le dehors du dedans, le dedans du dehors. Qui empêche de toucher, de sentir les odeurs, mais n’empêche pas les yeux de passer la frontière d’aller voir chez les autres, pour un petit coup d’œil, indiscret à souhait. Coup d’œil un peu spécial, le regard est dévié, il ondule et se perd à travers la surface qui refuse le trop plat, le banal, l’insipide. La surface est joueuse, elle se sait éphémère, se moque des conséquences et les fougères se plient aux caprices du génie échappé de la lampe, au passage du miroir, voire à une longue glissade dans un terrier sans fin. Voir les fougères danser, étreindre les longues herbes, taquiner les aiguilles d’une branche de sapin, c’est se permettre enfin un petit pas de côté, se dire que l’on pourrait juste en tendant la main, toucher le bleu du ciel, attraper les nuages, les croquer à pleines dents comme une barbe à papa, s’évader en enfant qui est vraiment pirate et hurler à la lune comme ferait un prisonnier qui ne sort que le jour dans la cour des promenades jusqu’à en oublier que les étoiles existent

Avec Antonin Charbouillot, https://antonincharbouillot.com