Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite
Pour le texte d’aujourd’hui j’avais trouvé frontière. Mais frontière est pour moi un mot beaucoup trop sombre, politique et sanglant, guerrier et trop humain. En y réfléchissant, j’ai préféré limite. La frontière est limite, mais limite pas frontière sauf dans quelques cas rares pour nos vocabulaires, et beaucoup trop fréquents pour ce qu’ils produisent d’effets, politiques et sanglants, guerriers et trop humains. Alors plutôt limite, puisque j’ai le privilège d’avoir encore le choix. Limite mathématique qu’on n’atteindra jamais, mais qu’on ne dépassera pas, les limites du terrain qu’on trace dans la poussière d’un talon qui zigzague quand on a un ballon, la limite peinte en rouge sur des pierres et des arbres pour une propriété, qui n’arrêtera pas la promeneuse discrète qui ne fait que passer, ou la ligne d’horizon floutée d’une légère brume quand on regarde le large installée pour rêver sur une plage tranquille au lever du soleil, ou la laisse de hautes mers qui change de jour en jour en fonction des marées. Pas de grande déclaration, de traité ou de bataille pour la limite pluie-neige. Là haut ce sera blanc, solide et vraiment froid, et plus bas transparent, liquide et juste frais. L’être humain quels que soit ses désirs de frontières, de drapeaux, de puissance n’y sera jamais pour rien dans la limite pluie-neige ou la laisse de hautes mers, ou l’endroit où s’installent les huitres et les bulots qui vivent en liberté, les espèces qui poussent là et s’étioleront ailleurs, les oliviers du sud, les bouleaux du Grand Nord, les baobabs d’Afrique. Malgré ces limites-là, on trouvera toujours des névés dans les creux quand l’herbe tout autour est déjà haute et verte, anomalie heureuse pour les glissades d’été et l’eau qui se diffuse avec une sagesse lente plutôt que de ruisseler, de filer ventre à terre pour se tarir ensuite. De ces anomalies, points saillants, étonnants, remarquables, on fera des citations pour mettre au premier plan ce petit morceau de texte qui ne serait pas là s’il n’avait pas, un peu, dépassé la limite construite patiemment par le reste de l’histoire