"De temps en temps", ça commence par la météo, et ça continue avec ce qui vient en tirant sur le fil
Estival. Dernière journée d’été… le soleil domine très largement. Mais on observe des bancs de nuages bas sur le centre et Ouest de l’Isère le matin, puis quelques nuages se mettent à déborder sur la frontière italienne côté Haute-Maurienne en cours d’après-midi. Températures minimales comprises entre +8 et +11 degrés. Températures maximales comprises entre +24 et +26 degrés. Isotherme 0° vers 4100 mètres. Vent faible puis modéré de Sud-Ouest avec un peu de foehn. Prévisions Météo Alpes
Estival, mi-octobre. Hors saison, hors sujet, hors contexte. Hors-jeu. Un décalage, pas ce qu’on attendait d’un mois d’octobre théorique. Parce qu’on attend toujours quelque chose des endroits, des gens ou bien du temps ou encore des saisons. Idée déjà construite de ce qui nous attend. Un coloriage à colorier, le refrain de la chanson où il faut rajouter, peut-être, quelques couplets. Restera bien souvent à peaufiner encore, adapter, rectifier, ajuster. Mais on s’attend toujours à ceci ou cela. En octobre, on attend les feuilles mortes, les châtaignes, le feu à allumer quand on a oublié les petites habitudes, rentrer le petit bois le soir pour le matin. Emmener avec soi une veste ou bien un pull parce qu’on ne sait jamais. Ressortir les foulards, obliger les mollets à reprendre contact avec les pantalons, eux qui étaient à l’air depuis le début de l’été. Et puis parfois arrive qu’on soit en décalage entre ce qu’on attend et ce qu’on voit vraiment. Comme lorsqu’on aperçoit un panneau de chantier au milieu de la forêt, comme quand le hors saison submerge nos attentes, les oblige à plier sous la réalité, vient changer dans nos têtes un point d’affirmation en interrogation
"De temps en temps", ça commence par la météo, et ça continue avec ce qui vient en tirant sur le fil
Variable. Temps frais (+4/+8 vers 1000 mètres à l’aube) mais bien ensoleillé le matin avec de petits résidus nuageux à moyenne-altitude, surtout le long des Préalpes. Ils évoluent en nombreux cumulus sur les massifs dès la fin de matinée. Les conditions sont alors mitigées en montagne l’après-midi avec de petites averses possibles (surtout en Nord-Savoie et Haute-Savoie) mais des éclaircies résistent, notamment en Haute-Maurienne. En plaine il continue de faire beau l’après-midi. Températures minimales comprises entre +7 et +10 degrés. Températures maximales comprises entre +21 et +24 degrés. Isotherme 0° vers 2500 puis 2800 mètres. Vent faible à localement modéré de Nord. Prévisions Météo Alpes
Variable. Comme la montagne, là, juste devant la fenêtre. Des taches de lumière claires qui se promènent au vent et puis main dans la main avec les nuages sombres. Bien d’autres taches aussi sur la forêt d’en face. Les couleurs de l’automne, les couleurs d’autres arbres qui ont d’autres pelages, les couleurs du grand âge, ou les couleurs du sec, celles de la maladie ou de la sale bestiole qui fait les arbres sans feuilles, alors qu’en cette saison on a encore du vert pour dire si les branches nues ont perdu leur habits pour cause de saison ou pour cause de décès. Suivant le nom des arbres, et leur hérédité, le tableau sera variable, vert foncé ou vert clair, du beige jusqu’au brun, du jaune, du presque rouge et tout les orangés rangés entre les deux. Les bleus seront pour le ciel ou bien pour les reflets. Si on regarde bien, on a toutes les nuances et même toutes les teintes qui changent suivant le jour, jusqu’au noir de la nuit. Variables aussi les ombres, l’endroit d’où l’on regarde et puis ce qu’on regarde. Sans oublier bien sur, le comment on regarde, la pente dans son ensemble ou un lieu bien précis, on verra autre chose, une forêt ou un arbre, ou bien tout un bosquet, une lisière ou une coupe. Comme on peut lire un livre en ne lisant que l’histoire ou bien tout autre chose, de la longueur des phrases à la ponctuation ou au vocabulaire, pour une lecture variable toute comblée de variantes
"De temps en temps", ça commence par la météo, et ça continue avec ce qui vient en tirant sur le fil
Très changeant. En fin de nuit et début de journée : ciel bien chargé, surtout dans les massifs, avec des averses (essentiellement en montagne, neige vers 1900/2100 mètres) mais également quelques éclaircies, franches en plaines. Ces éclaircies s’élargissent et se généralisent en mi-journée/après-midi. Retour de nombreux passages nuageux par l’Ouest d’ici la fin de journée et pour la soirée avec de fréquentes averses qui concernent l’ensemble de la région (neige en baisse vers 1700/1900 mètres). En seconde partie de nuit suivante, des averses touchent encore les reliefs et la neige descend vers 1200/1400 mètres. Températures minimales comprises entre +4 et +8 degrés. Températures maximales comprises entre +14 et +17 degrés. Isotherme 0° vers 2300 mètres, en baisse le soir. Vent faible à modéré d’Ouest-Sud-Ouest. Prévisions Météo Alpes
Temps très changeant. Averses, nuages et éclaircies. De l’eau et de la lumière. Un peu de tranquillité aussi et bien sur le contraste. La lumière des éclaircies dans le sombre du sous bois pour souligner son regard, lui donner toute la profondeur qu’il mérite. L’humidité redonnera du volume à sa coiffure, en fera une belle tignasse fournie et indomptable pour le côté aventurier de retour du bout du monde. Pour le côté aventurier aussi, la longue barbe sauvage qui lui mange tout le bas du visage, fait de son sourire une richesse intérieure et y ajoute un côté vieux sage nourri de l’expérience des coups durs surmontés et des longues réflexions qui vous font découvrir le bon sens. Et lorsqu’il vous raconte sa vie, installé sur son tronc au milieu de la forêt vous faites le tour de son monde, juste assis sur une souche à l’écouter conter. Il conte le monde qui vient à lui, son immobilité le rend accessible à tous ceux que le mouvement effraie, il observe, il ne se contente pas de regarder, il a accès à tout ce qui nous échappe dans l’espace comme dans le temps. Pour l’instant il prend note, un jour il écrira
Je veux saisir le marcheur là, à l’instant précis où il entre dans la forêt, quand ses pieds quittent le tapis vert des herbes pour entrer dans le monde des feuilles mortes, des histoires qu’on chiffonne, albums de famille, cartes de la belle saison que les arbres envoient à la terre, miettes de soleil. Dans les feuilles mortes de l’été, le marcheur froisse, écrase, déchire casse les souvenirs de la belle saison, et il s’entend marcher, ses pas lui envahissent les oreilles, ils prennent toute la place, ils piétinent les autres sons, les autres bruits, les chants, les appels. Même en marchant doucement il perturbe, il détraque, il chamboule. Pour entendre, il lui faut s’arrêter, ne plus bouger, s’oublier. Alors seulement, il pourra accéder aux bruits des autres, au-delà de ses bruits à lui. Chant d’oiseau, eau qui court, vent dans les branches, le chantier débraillé de l’oiseau qui cherche un insecte au hasard. Les pas attentifs du chevreuil qui a la tête en l’air, les pas concentrés du chevreuil tête baissée qui cherche de quoi manger. Silence assourdissant, craquant, piétinant. Le silence du vivant.
Je veux saisir le marcheur là, à cet instant précis où il entre dans la forêt, quand ses narines assoupies d’herbe coupée rencontrent l’odeur d’humus. L’odeur des feuilles de l’été précédent qui vont nourrir de leur savoir, de leurs souvenirs et de leurs rêves, les feuilles de l’été qui viendra. Et puis au fil des pas, d’autres senteurs marquent leurs territoires, le piquant du noyer, le douceâtre du châtaignier, la résine des sapins, le champignon timide, bien caché sous les feuilles qui laisse le vent le plus léger brouiller les pistes de sa présence. Alors le panier à la main, le couteau dans la poche et le bâton gratouilleur, le marcheur part à la recherche du chapeau brun foncé sur les tubes rassurants, du parasol jaune vif sur les plis des giroles ou du cornet si sombre des trompettes de la mort. Il y a aussi les autres, lamelles affriolantes, corolles transparentes, couleurs affolantes, ceux qu’il ne connait pas, il n’y touchera pas, mais son nez lui dira et il regardera, regrettant le fragile de ses savoirs de base. Plus loin, son nez le fera douter, feu de bois, cuisine ? Non, ces odeurs-là, ce sera pour plus tard. Peut-être.
Je veux saisir le marcheur là, à cet instant précis où il entre dans la forêt des arbres sombres dénudés par le froid et vieillis par le blanc. Sous les pas du marcheur la neige se compacte et puis craque, cellulose minérale. Plus froide, elle se ferait poudre soufflée par la moindre promenade de l’air, plus chaude elle serait boue collante qui ne garde pas l’empreinte et hésite, translucide, entre la glace et l’eau. Les branches alourdies viennent dessiner des courbes au milieu de l’austère rectitude des troncs. Nostalgie noire et blanche, soulignée en contrastes. Le blanc dépose trop de lumière sur l’image, notre œil panique et se protège, il se ferme aux détails, aux nuances aux valeurs, aux textures des écorces. L’hiver gratte et révèle tout de la vie de tous. Par l’impudeur du froid qui dénude les arbres et offre à nos regards les membres dévêtus. Par les poinçons des pattes qui disent les errances et guident les prédateurs vers les refuges des proies. Au-delà de ces traces, la vie est assoupie, aucun insecte en vol, d’autres au fond des terriers, comme une ville vide, au pays des immeubles, des rues et des voitures, un monde si éloigné qu’il semble disparu.
Je veux saisir le marcheur là, à cet instant précis où il entre dans la fraicheur de la forêt à l’abri du soleil de l’été. Parfois son corps trop échauffé aura transpiré, l’humidité sur sa peau se transformera presque en froid une fois qu’il se sera placé sous la protection des arbres pour échapper aux rayons du soleil. Chair de poule. Celle du frais des ombrages, comme celle de ces histoires sombres, des contes à faire frémir inventés pour faire peur. Ogres, enfants perdus, chaperons et galettes, bucherons et sortilèges. La forêt cache dans ses pénombres nos peurs, nos angoisses, nos cauchemars. Le courage qu’on voudrait tant avoir. Alors timidement, on avance, il faut aller y voir. Vérifier qui est là tapis derrière un tronc, reconnaître les bruits, les rendre familiers. Aux gens des étendues, aux habitants des villes, la forêt est une foule de grands êtres inconnus, qui ont leur rythme propre, leurs longues habitudes et puis leur élégance. Élancés, sobres ou torturés, les arbres disent leur vie aux angles de leurs courbes et de leurs embranchements. En leurs cassures aussi. À mieux connaitre les arbres, on vénère les forêts, on aimerait tant quitter la ville, le monde des verticales faites de matériaux morts, le béton ou la pierre, le transparent du verre. Ce vieux monde disparu pour tous ceux que la forêt envoûte.
Texte écrit dans le cadre des ateliers en ligne de François BON, à retrouver sur https://www.tierslivre.net
Salutations respectueuses et admiratives à Jean-Philippe Toussaint pour "L'instant précis où Monet entre dans l'atelier", aux éditions de Minuit