Archives par mot-clé : écriture

Exploit

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Exploit. Action d’éclat, courageuse, héroïque, accomplie à la guerre à l’origine du mot, puis élargie à celles qui dépassent l’habitude. Dans tous les dictionnaires juste à côté d’exploit on trouvera exploiter. Exploit et exploiter sont deux mots de même famille, deux mots écartelés entre ironie acide et étymologie, avec côté exploit, le glamour du sportif, qu’on retrouvera moins sur une exploitation. Exploiter a souvent un petit côté sombre. Dans beaucoup trop de cas, il s’acoquinera avec des mots tels que pression, emprise, contrainte, avec exploitation au sens Proudhon du terme quand l’humain est en cause dans des rapports humains d’une grande dissymétrie. Exploiter, quand on parle de mine ou de forêt c’est prendre ce qui se trouve dans le sol, dans le bois, et en tirer profit, et ne pas laisser grand chose, ou au mieux juste de quoi exploiter davantage. Exploitation aussi dans de trop nombreux cas, pour cultiver la terre, nourrir les animaux dont on exploite la viande ou les œufs ou bien le lait, faire pousser les légumes, oignons, choux, pommes de terre quand exploiter la terre sans détruire ce qu’on exploite, au moins sans l’abimer, ça semblerait pourtant une sacrée bonne idée. Le mot n’y pourra rien de l’utilisation que chacun en fera. On exploite d’ailleurs autre chose autrement, sans prendre ce qui existe et ne laisser que du vide, comme l’arbre va exploiter la lumière du soleil pour se faire feuilles et branches, sans parler des racines, capable de construire des mètres cubes de bois, de bâtir des forêts. Exploiter la lumière pour la photo aussi, pour attraper le beau quand il se pose là et puis le partager avec qui était loin et n’aurait pas vu ça, ou pas vu ça comme ça. Au début exploiter c’était exécuter, accomplir et achever le labeur de chaque jour. Et puis sont arrivés toutes les variations et puis les changements de sens. Toutes ces variations et ces changements de sens, c’est tout ça qui complique quand il s’agit d’écrire et d’exploiter les mots, leur faire dire ce qu’on veut dire sans les laisser flapis, trahis, vidés. Qu’ils en sortent enrichis et non pas exploités, c’est chaque fois un exploit

Nervures

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Commencer par le haut, commencer par le bas, la question n’a pas de sens, il suffit simplement de retourner la feuille. Les artères principales se divisent en plus petites, se divisent en plus petites et encore en plus petites, en chemins vicinaux. Scruter dans l’autre sens, des régions reculées, des deltas, des montagnes, on rejoint des torrents, des ruisseaux, des rivières, des fleuves et puis des routes à plusieurs grosses voix, des troncs jusqu’aux racines. À suivre avec le doigt les si fines lignes bleues tracées sur le papier d’une carte routière, se noyer dans les noms, les noms en italique, les brindilles, radicelles, filets d’eau et nervures. Nervures, comme des nerfs, ces nerfs qui entremêlent les messages de l’aller avec ceux du retour, depuis l’élan des doigts jusqu’à notre encéphale, qui lui renvoie les phrases que l’on divise en mots en mouvements des doigts qui choisissent la bonne touche, la courbe du crayon ou le zigzag du N, comme dans le mot Nervure. Les nervures de ces textes dans lesquelles se perdre, revenir sur ses pas pour repartir encore par un autre chemin, s’égarer, se tromper, ne plus s’y retrouver entre l’œil et le doigt et la tête au milieu.
Tout ça serait bien trop simple s’il suffisait de suivre les empreintes de pattes déposées par l’oiseau entre deux envolées, car restent à capturer les insectes et le vent, les accrocs, les odeurs, les ombres et les textures même par les jours de pluie, pour faire des arbres des mots et les habiller beaux quand les nervures des feuilles et les pattes d’oiseaux ont un squelette commun et un seul alphabet de si peu de caractères. Se sentir certains jours requin en aquarium et parfois suivre la ligne des nervures de la feuille pour ensuite se rendre compte qu’on est parti si loin, qu’on écrit simplement en dehors du papier

Le chemin du curé

En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là.
Chemin du curé, Hameau de la Gittaz, Beaufortain, septembre 2023

Un pied, l’autre pied, un pied, l’autre pied. Répétition, oscillation, en pendule de nous-même, y revenir toujours, comme dans un jeu d’enfant. Pas si simple pour l’enfant que d’apprendre à marcher, mais on oublie tout ça et on marche depuis, en oubliant qu’on marche. On oublie facilement tout ce qu’il y a dans chaque pas, l’équilibre sans les mains, juste avec les oreilles, les chevilles et les genoux qui savent toujours bien mieux que tout le reste du corps si le chemin va monter, si il faut se plier, se poser en douceur ou si on peut s’y fier. Souvent c’est le talon qui s’y colle en premier, un peu à l’extérieur, un peu à l’intérieur ou bien juste au milieu. Se poser en oiseau ou comme un lourd marteau, nos pieds savent nos fatigues, nos instabilités, nos errances sans buts, nos hâtes déterminées. Le goudron et le plat seraient presque une insulte à leur intelligence, eux qui savent, en douceur et en délicatesse, choisir l’endroit parfait, juste sur cette petite pierre ou entre les racines trouver le bon appui, celui qui nous permet de soulager l’autre pied, pour qu’il trouve lui aussi, une place au soutien fiable qui assurera l’étape et permettra d’aller encore un peu plus loin. Nos pieds savent tant de choses que notre tête ignore, ils n’ont pas besoin d’elle pour nous faire aller loin et permettre aux pensées, si confuses quand elles viennent toujours au même endroit et puis du même endroit dans le manque de mouvement, d’enfin trouver leur place et de s’épanouir. Pour cueillir les idées et en faire des bouquets, une des plus belles façons reste encore et de loin, d’écrire avec les pieds

20230713

"De temps en temps", ça commence par la météo, et ça continue avec ce qui vient en tirant sur le fil

Peu nuageux. Les orages de la nuit précédente laissent traîner un peu d’humidité (bancs de nuages) à moyenne-altitude sur les massifs. On retrouve en après-midi plutôt des cumulus sur les sommets, qui se dissiperont en fin de journée. Partout ailleurs, notamment en plaines et basses-vallées : il fait vite très beau.
Températures minimales comprises entre +16 et +18 degrés.
Températures maximales comprises entre +27 et +30 degrés.
Isotherme 0° vers 3600 puis 4200 mètres.
Vent faible à modéré d’Ouest-Nord-Ouest.
Prévisions Météo Alpes

Les orages de la nuit précédente laissent traîner des nuages. Des souvenirs, des impressions qui restent et que le lendemain on regarde autrement. Une image embellie par la tranquillité du calme retrouvé, toute débarrassée du bruit et de la fureur du vent et des éclairs qui nous font tout petits quand l’orage se fâche et crache son tonnerre. Des photos de ces cieux chargés de grondements, de trop d’eau voire de grêle, de ces nuages si noirs qu’on les dirait solides, de ces moments où on se sent si vulnérables, insignifiants et frêles. L’image nous rappelera les émotions vécues, sensations ressenties et autres perceptions, les yeux qu’on doit fermer et les oreilles froissées. Mais rien de comparable à ce qu’on a connu. Le souvenir nous revient sans son intensité, sans le corps qui frémit, la froide sueur qui perle, les poils qui se hérissent. Le souvenir garde le goût mais pas l’intensité. La nuit passée suffit à écrêter nos peurs et à nous faire douter qu’on arrivera jamais en images ou en mots à faire revivre aux autres tout autant qu’à soi-même les sensations perçues dans toute leur véhémence

20230608

"De temps en temps", ça commence par la météo, et ça continue avec ce qui vient en tirant sur le fil

Peu de changement. Belle matinée très ensoleillée, déjà quelques cumulus sur les massifs avant la mi-journée. Ils donnent en après-midi, fatalement, quelques averses voire un bref orage. Mais ces averses orageuses sont bien isolées par rapport aux jours précédents. Le calme revient vite partout le soir.
Limite pluie-neige vers 3200 mètres.
Températures minimales comprises entre +12 et +15 degrés.
Températures maximales comprises entre +27 et +29 degrés.
Isotherme 0° vers 3500 mètres.
Vent faible, tendance aux brises.
Prévisions Météo Alpes

Cumulus, averses voire orages. Fatalement. Chaleur humidité évaporation précipitation. Phénomènes qui s’expliquent logiquement par la physique, une averse ou un orage fatalement physique. Fatalement. Et puis, grain de sable, le probable, le peut-être, le pas partout, le suivant ceci ou cela. C’est au grain de sable qu’on s’accroche pour un grain de folie, de l’inattendu, un peu moins de fatal, qui laissera plus de place aux chemins de traverse et aux pas de côté qu’on n’a pas calculés, ni prévus, ni construits, mais qu’on accepte tel quel, en toute naïveté pour changer du fatal, de l’usure du prévu, comme on garde le suspens en attendant la fin pour l’effet de surprise, le cœur qui bat plus vite pour de l’inattendu, pour une jolie surprise, l’oiseau qui se pose là, juste où on regardait ou le texte qui part, qui continue tout seul, qui file dans la descente quand on a pédalé si dur dans la montée et qu’il prend son élan, porté par la vitesse acquise sans qu’on ait plus besoin de lui tenir la main pour trouver l’équilibre

20220924

"De temps en temps", ça commence par la météo, et ça continue avec ce qui vient en tirant sur le fil

Averses. Le passage perturbé, généralisé, de la fin de nuit s’évacue d’ici le milieu de matinée par l’Italie (voire en fin de matinée en Haute-Maurienne). A l’arrière : des éclaircies reviennent, surtout en plaines. Mais les nombreux paquets nuageux résiduels donnent quelques averses en cours d’après-midi. Elles sont parfois fortes vers le Dauphiné en fin de journée.
Limite pluie-neige vers 2400/2500 mètres (5-10 cm de neige au-dessus de 2800 mètres, voire 10-20 cm en Oisans et Haut-Giffre).
Températures minimales comprises entre +11 et +13 degrés.
Températures maximales comprises entre +19 et +22 degrés.
Isotherme 0° vers 2800 mètres.
Vent faible à modéré de Sud-Ouest.
Prévision Météo Alpes

Averses puis départ de la perturbation et retour des éclaircies. Les nuages s’écartent, reviennent, cachent et redévoilent un paysage hier familier et usé qu’on retrouve autre sous une autre lumière. La même idée avec d’autres mots, avec des phrases plus courtes ou plus longues qui changent le rythme, des petits points, les virgules qui changent tout, qui font du neuf avec du vieux, un nouveau texte avec d’anciennes idées. Rénover, raviver, reprendre l’existant pour poncer, polir et huiler, histoire de faire bien mieux. « Pour écrire il faut déjà écrire ». Assurer le permis de construire et poser une base pour ensuite bâtir plus haut, plus beau, mieux adapté pour y poser du sens ou des sens. Refaire un texte neuf une fois le vent levé, les perturbations évacuées, elles qui étaient toutes chargées de ces questions lourdes des débuts qui assombrissent les textes, brouillards, ondées tenaces ou pluies de plusieurs jours, les éclaircies revenues le texte prendra ses mots pour dire un nouveau monde. Un monde où les manuscrits revivent pour prendre enfin toit et gouttières, couleurs aux portes et plinthes au bas des murs. Reprendre autrement, mieux, plus réfléchi, mieux adapté parce qu’on y a vécu. Revoir jusqu’à peut-être, dans le doute et en tremblant, poser un point final. Temporairement. Ou pas

Dans la forêt

Je veux saisir le marcheur là, à l’instant précis où il entre dans la forêt, quand ses pieds quittent le tapis vert des herbes pour entrer dans le monde des feuilles mortes, des histoires qu’on chiffonne, albums de famille, cartes de la belle saison que les arbres envoient à la terre, miettes de soleil. Dans les feuilles mortes  de l’été, le marcheur froisse, écrase, déchire casse les souvenirs de la belle saison, et il s’entend marcher, ses pas lui envahissent les oreilles, ils prennent toute la place, ils piétinent les autres sons, les autres bruits, les chants, les appels. Même en marchant doucement il perturbe, il détraque, il chamboule. Pour entendre, il lui faut s’arrêter, ne plus bouger, s’oublier. Alors seulement, il pourra accéder aux bruits des autres, au-delà de ses bruits à lui. Chant d’oiseau, eau qui court, vent dans les branches, le chantier débraillé de l’oiseau qui cherche un insecte au hasard. Les pas attentifs du chevreuil qui a la tête en l’air, les pas concentrés du chevreuil tête baissée qui cherche de quoi manger. Silence assourdissant, craquant, piétinant. Le silence du vivant.

 

Je veux saisir le marcheur là, à cet instant précis où il entre dans la forêt, quand ses narines assoupies d’herbe coupée rencontrent l’odeur d’humus. L’odeur des feuilles de l’été précédent qui vont nourrir de leur savoir, de leurs souvenirs et de leurs rêves, les feuilles de l’été qui viendra. Et puis au fil des pas, d’autres senteurs marquent leurs territoires, le piquant du noyer, le douceâtre du châtaignier, la résine des sapins, le champignon timide, bien caché sous les feuilles qui laisse le vent le plus léger brouiller les pistes de sa présence. Alors le panier à la main, le couteau dans la poche et le bâton gratouilleur, le marcheur part à la recherche du chapeau brun foncé sur les tubes rassurants, du parasol jaune vif sur les plis des giroles ou du cornet si sombre des trompettes de la mort. Il y a aussi les autres, lamelles affriolantes, corolles transparentes, couleurs affolantes, ceux qu’il ne connait pas, il n’y touchera pas, mais son nez lui dira et il regardera, regrettant le fragile de ses savoirs de base. Plus loin, son nez le fera douter, feu de bois, cuisine ? Non, ces odeurs-là, ce sera pour plus tard. Peut-être.

 

Je veux saisir le marcheur là, à cet instant précis où il entre dans la forêt des arbres sombres dénudés par le froid et vieillis par le blanc. Sous les pas du marcheur la neige se compacte et puis craque, cellulose minérale. Plus froide, elle se ferait poudre soufflée par la moindre promenade de l’air, plus chaude elle serait boue collante qui ne garde pas l’empreinte et hésite, translucide, entre la glace et l’eau. Les branches alourdies viennent dessiner des courbes au milieu de l’austère rectitude des troncs. Nostalgie noire et blanche, soulignée en contrastes. Le blanc dépose trop de lumière sur l’image, notre œil panique et se protège, il se ferme aux détails, aux nuances aux valeurs, aux textures des écorces. L’hiver gratte et révèle tout de la vie de tous. Par l’impudeur du froid qui dénude les arbres et offre à nos regards les membres dévêtus. Par les poinçons des pattes qui disent les errances et guident les prédateurs vers les refuges des proies. Au-delà de ces traces, la vie est assoupie, aucun insecte en vol, d’autres au fond des terriers, comme une ville vide, au pays des immeubles, des rues et des voitures, un monde si éloigné qu’il semble disparu.

 

Je veux saisir le marcheur là, à cet instant précis où il entre dans la fraicheur de la forêt à l’abri du soleil de l’été. Parfois son corps trop échauffé aura transpiré, l’humidité sur sa peau se transformera presque en froid une fois qu’il se sera placé sous la protection des arbres pour échapper aux rayons du soleil. Chair de poule. Celle du frais des ombrages, comme celle de ces histoires sombres, des contes à faire frémir inventés pour faire peur. Ogres, enfants perdus, chaperons et galettes, bucherons et sortilèges. La forêt cache dans ses pénombres nos peurs, nos angoisses, nos cauchemars. Le courage qu’on voudrait tant avoir. Alors timidement, on avance, il faut aller y voir. Vérifier qui est là tapis derrière un tronc, reconnaître les bruits, les rendre familiers. Aux gens des étendues, aux habitants des villes, la forêt est une foule de grands êtres inconnus, qui ont leur rythme propre, leurs longues habitudes et puis leur élégance. Élancés, sobres ou torturés, les arbres disent leur vie aux angles de leurs courbes et de leurs embranchements. En leurs cassures aussi. À mieux connaitre les arbres, on vénère les forêts, on aimerait tant quitter la ville, le monde des verticales faites de matériaux morts, le béton ou la pierre, le transparent du verre. Ce vieux monde disparu pour tous ceux que la forêt envoûte.

Texte écrit dans le cadre des ateliers en ligne de François BON, à retrouver sur https://www.tierslivre.net
Salutations respectueuses et admiratives à Jean-Philippe Toussaint pour "L'instant précis où Monet entre dans l'atelier", aux éditions de Minuit

20220208

"De temps en temps", ça commence par la météo, et ça continue avec ce qui vient en tirant sur le fil

Beau temps nuit claire et froide. Belle journée ensoleillée

Froid au matin, la respiration du jour qui se lève gèle en se déposant sur le sol. Maintenant le soleil réchauffe. Illumine. Fait fondre givre et neige. Le blanc recule. Peut-être bientôt le retour du vert ? En humains impatients on veut toujours l’après. Le vert après le blanc, le jaune après le vert, le brun après le jaune. Et le retour du blanc. Bientôt le vert donc, les feuilles, les feuilles pour les mots du noir sur blanc, au-delà des mots pâles et frileux de l’hiver, ceux qui fondent au printemps et filent dans les torrents

Dans l’infra-rouge

 

Une charogne. Ouvrant d’une façon nonchalante et cynique Son ventre plein d’exhalaisons.

 

Du Baudelaire. Mais pour l’histoire en cours, je l’ai écrit comme ça, sans guillemets ou autre marque de citation, alors que ça n’est pas de moi. Je n’ai pas conçu cette phrase, même si maintenant je l’ai adoptée et que je ne la quitterai plus, puisqu’elle va si bien à mon personnage. Mais j’ai gardé les majuscules des vers, même au milieu de la phrase. Et un point à la fin. Je me suis même permis de changer un mot, le premier, dans le poème le verbe est « ouvrait », pas « ouvrant ». Je ne sais pas si ça se fait, mais à ce moment-là, c’était ça qu’il me fallait, exactement ça. Cette phrase-là. Ou rien.


Ma main a écrit à ma place. Humeur macabrement poétique. Vers et vers. Succession d’anneaux, succession de mots, liés l’un à l’autre et qui forment un tout, une nouvelle entité. Une phrase ? depuis le temps que j’écris, que je fais donc des phrases, je ne me suis jamais posé la question de savoir ce qu’est une phrase. Vraiment posé la question. Sans regarder dans le dictionnaire, définir une phrase à partir de l’habitude, de la pratique de lire et d’écrire ? Ces phrases que je construis sans le savoir, comme un petit enfant apprend sa langue maternelle, en écoutant, en répétant, en la voyant écrite, en écrivant à son tour, sans grammaire ni syntaxe. Sans théorie pesant sur la pratique.

 

Une charogne. Ouvrant d’une façon nonchalante et cynique Son ventre plein d’exhalaisons.

 

Déformation scientifique, mathématique : partir de la base, de l’atome, de l’axiome. Le mot est la base. Une phrase c’est plusieurs mots. Comme le ver et ses anneaux. Ou même un seul mot. Donc une phrase c’est un assemblage d’un plusieurs mots. Assemblage pour un seul mot ? ça ne marche plus. Le cas d’une phrase d’un seul mot, il suffit d’en faire un cas particulier, pas de problème en français, les cas particuliers. Ensuite les éléments de base, les mots appartiennent à tout le monde, ils sont dans le dictionnaire. Mais certains assemblages sont « brevetés », ils sont associés au nom de la première ou du premier qui l’aura utilisé. Le changer, c’est se l’approprier ? Le voler puis le retailler en faussaire dans le cas de mon vers de Baudelaire ? Ou un hommage ? Respect, reconnaissance ? Admiration ? je m’éloigne de la question.

 

Une charogne. Ouvrant d’une façon nonchalante et cynique Son ventre plein d’exhalaisons.

 

Je pars là-dessus. « Une phrase est un assemblage de mots ». Majuscule, point, tiret, slash, blanc…. Juste là pour séparer les phrases, pour aider le lecteur. Pour qu’il respire au bon endroit quand il lit, qu’il s’arrête pour mastiquer sa phrase et puisse l’avaler, la goûter, la savourer peut-être, avant d’en reprendre une autre bouchée. Pas sûre qu’ils soient indispensables, surtout à voix haute, on lira les virgules, même là où il n’y en a pas. C’est une aide, des indications de pauses, de cuillerées. Ensuite, ce qui différencie aussi une phrase d’un vulgaire tas de mots pris au hasard, c’est le sens. Je m’enlise : maintenant il me faudrait définir le « sens » … Donnons donc au « sens » le sens commun, pour éviter l’abîme, le vertige des définitions infinies. Dans la phrase, celui qui écrit dépose son sens, le lecteur y trouve le sien. Souvent le même, c’est l’idée. Mais tout autour du sens visible d’une phrase, en infra-rouge, ou en ultra-violet, viennent se loger les sous-entendus, allusions, images, figures de style, implicite….

Une charogne. Ouvrant d’une façon nonchalante et cynique Son ventre plein d’exhalaisons.

 

L’implicite. L’image, le choix du vocabulaire, l’agencement des mots, la grammaire, la conjugaison, la forme, le fond. Vertige encore, de l’infinité des paramètres. Détourner des usages, parler avec les yeux, faire siffler l’assonance dans le silence des pages qu’on tourne. Laisser le lecteur travailler, s’approprier le texte pour mieux le faire sien, le laisser s’impliquer pour mieux pouvoir l’emmener où on voudrait l’emmener. La phrase c’est la carte avec ses limites et ses frontières, mais c’est aussi la graine qui faire naître le paysage chez le lecteur. La partie de la phrase qu’on ne maitrise pas, pas complètement, pas toujours autant et pas toujours comme on le voudrait, ce serait elle, la plus importante ?  On en joue. Jeu risqué, mais qu’on joue avec délice, sinon, qui lirait ? qui écrirait ?

Un jeu ? Sérieux comme tous les vrais jeux ?

 

Une charogne. Ouvrant d’une façon nonchalante et cynique Son ventre plein d’exhalaisons.