Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite
C’est une question d’image, de représentation. Sage comme une image, il regarde son écran, ne bouge pas d’un poil, ne remue pas un cil, immobile et figé. Il regarde son écran, l’écran qui fait écran entre lui et le monde. Il regarde son écran, privilégie l’avenir, l’image qu’il peut revoir plutôt que celle à vivre, au présent de maintenant. Dans l’avenir, son présent, en regardant l’écran sera devenu passé. L’image fait décalage, elle joue avec nos temps. L’image fait référence, elle renvoie aux moments qu’on a vécus avant, moments vécus par d’autres, aussi avant maintenant, elle interpelle nos têtes, nos souvenirs, nos rêves, réveille nos émotions. Souvenir de balade, montée raide sur la crête et en haut découvrir des chamois tout tranquilles qui broutent en contrebas, s’arrêter sur une fleur et sur le paysage, tacheté par les nuages, en volutes, en pétales, vallée en perspective avec l’eau qui s’écoule dans le creux de ses mains, le doux vert des alpages, quelques buissons plus sombres, arbres aux ramures tordues, torturées par l’hiver et le poids de la neige. Quelques rochers aussi pour ne pas oublier le socle minéral qui façonne le relief de sommet en vallée. Image en métaphore quand on n’a pas le souvenir, quand il suffit d’un mot pour se faire tout un monde, quand on lira vallée, on aura tous en tête deux rives en pentes vertes et de l’eau tout en bas. Toutes ces images d’avant font appel au passé, au souvenir, aux traces et à nos références mais parfois c’est l’inverse, l’image vient en premier, elle commence dans une tête, dans un imaginaire. Ce serait d’abord une île, rocher noir sur mer sombre et sous un ciel de plomb, avec en son sommet juste le point blanc d’un phare, tout au nord de l’Écosse. Image de départ qu’il retouche comme il veut, comme il en a envie et comme il s’imagine une île des Caraïbes, sable blanc et palmiers, et puis bien sûr pirates pour mettre un peu d’action, et il en fait un livre et c’est l’île au trésor. Entre image et magie, il n’y a qu’un i d’écart au jeu des anagrammes, à chacun de choisir où il mettra cette lettre suivant sa perception du temps qui est passé et puis qui passera, mais qui ne repassera pas