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À voix haute

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

La voix. Son produit par la bouche et résultant de la vibration de la glotte sous la pression de l’air expiré. Des mots posés à plat sur le plan de la page, passer par la voix haute, occuper tout l’espace en le faisant vibrer, donner au texte lu une autre dimension, lui faire prendre les airs, décoller, s’envoler, et de bouche à oreille, toucher, peut-être changer la vie d’autres vivants. Avancer mot à mot comme on lit pas à pas, au rythme des syllabes comme le son du tambour dans les cérémonies et se laisser bercer, dorloter par les mots comme on écouterait le doux murmure des vagues, l’oreille au coquillage et le regard au loin. Alors, donner de la voix aux mots qui n’en ont pas, être la voix des livres pour qu’un unique lecteur puisse proposer les phrases à toutes les oreilles, là, à portée de voix. Alors en plus du texte on aura la musique, le rythme et le mouvement déposés sur la page par l’autrice ou l’auteur attentive, attentif à faire vivre les mots bien au-delà d’eux-mêmes. Échos, rimes, assonances, voire allitérations, tous les moyens sont bons pour prendre le lecteur dans les filets du verbe, l’ensorceler, l’amener à cheminer sans faute d’un paragraphe à l’autre d’un chapitre à un autre, jusqu’à ce que fin se lise ou seulement se devine dans une voix qui tombe, un silence encore plein du piano de la phrase. En lisant à voix haute, on fait vivre le texte au-delà du texte lui-même, lire et un peu jouer des ressorts de la voix, des ressorts de son corps, souligner de la main la pensée qui s’étire, laisser le temps aux oreilles de construire pour elles-mêmes le paysage lu, la scène imaginée, la joie du personnage ou son grand désespoir. Les mimiques, les regards, les pauses bien placées, le rythme des syllabes qui donne vie au suspense et précipitation à la séquence d’action fera battre les cœurs et sourire les oreilles, pleurer ceux qui écoutent juste comme l’espérait qui a écrit le texte en y mettant le ton. Alors aucun moyen de dire comme Racine, tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire, quand le texte est bien né et lu par une voix mise haute à son service

Voir la mer

En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là.
Trégon, Bretagne, janvier 2024

Si tu étais oiseau, tu l’aurais vue de loin. Ton regard sur la carte en aurait fait autant. Suivant l’heure de la mer ou bien l’heure de la terre, elle se serait détachée, bleu salé sur vert doux ou sur un brun feuilles mortes en fonction de la saison, suivant la météo, la dentelle fine des vagues ou la bave écumante des déferlantes avides. Et puis toujours laisser pour les mers à marées, la zone d’hésitation, l’estran gris qui s’ajuste, tantôt suivant le flot, regrettant le jusant ou s’amusant encore de ces deux prétendants qui se cherchent toujours sans jamais se rejoindre en amants contrariés par les forces d’attraction, comme sont lune et soleil. C’est alors que pour ceux qui viennent là juste pour voir toute l’affaire se complique. Voir la mer peut devenir un jeu de piste décevant pour peu que le temps du jour soit au gris plus qu’au bleu. Alors pour voir la mer il faut se fier aux signes, aux senteurs, aux odeurs, à l’iode dans l’air, à la vase, aux coquilles, à la lumière plus claire parce qu’elle vient de plus loin. Même quand on habite là et quand on y est né, que l’on soit jeune tige ou arbre centenaire, voir la mer reste encore quelque chose de spécial, une idée à voir loin, loin des gouffres et falaises, loin jusqu’à l’horizon. Une idée d’évasion