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Bois

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Rien de l’impératif ne coule dans ce bois-là. Pas de liquide ici, mais plutôt du solide, du bois de promenons-nous, de la petite forêt, du bois au doux dessous garni de feuilles mortes. Du bois tout d’abord vert, feuillu, un peu espiègle, grand échalas tout fin, avide de lumière qui file vers les hauteurs. Il deviendra grand sage, imposant et robuste, vieux savant philosophe, érudit et nourrit des relations nouées avec les autres êtres vivants aux alentours, champignons, plantes diverses et bestioles en tous genres. Parfois, suivant le plan de coupe, il deviendra juste bois, du bois en tant que matière, du bois pour la sculpture, les meubles ou la charpente. Ou du bois à brûler. De la pâte à papier. Le regretter ou pas, la question n’est pas là et la réponse non plus, même si j’aurais aimé pouvoir un peu aider, moi qui aime tant les bois. De bois, pas l’un sans l’autre, mais seulement dans un sens, depuis le bois plein de sève jusqu’au bois serré sec. Alors pour commencer, penser au bois sur pied, pour les arbres plus grands que soi, promenons-nous dans les bois, lauriers coupés ou pas, allons encore au bois, gratter nos peurs d’enfants, nos idées d’autres fois, nos trop classiques des contes, sur l’écorce des grands hêtres, châtaigniers, peupliers, tous dignes templiers. Au bois, on va chercher tout ça, dans le petit bois de Saint-Amand, la grande forêt de Sherwood, ou bien à Brocéliande, toujours du plus grand que soi, du géant pacifique qui protège de son ombre, au géant querelleur qui tourmente de son ombre. Auprès de mon arbre, on apprendra tout ça et puis bien plus encore, de ces géants qui poussent sans jamais demander rien, qui poussent un peu à droite ou bien un peu à gauche quand ils sont empêchés, qui vivent, eux, pour de bon, d’amour et d’eau de pluie, même quand l’amour est loin. Alors aimer le bois jusqu’à aimer le papier, pouvoir boire les paroles des écrivains d’avant, voire d’il y a très longtemps, aimer le bois du fauteuil où on s’installe pour lire, aimer le papier pâle ou pousseront les phrases qui font naître les textes, tout ça ne serait pas si le papier n’était pas, si le bois n’était pas

Trognes

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Une trogne. Le nom viendrait peut-être du latin, du gaulois et se serait transformé, sûrement par troncature, par dérive, par glissement ou par similitude. Qu’on parte du museau ou bien encore du groin, qu’il soit plutôt question d’élaguer, d’étêter, de ne garder que le moignon, c’est un mot pour les grands, pas pour les nouveau-nés, un mot qui fera de vous quelqu’un d’un peu spécial, avec une vie qui sort des autoroutes battues, qui vous fera une bouille qu’on ne trouvera jamais sur les feuilles des élèves dans les cours de dessin, avec les yeux au centre et le haut des oreilles toujours bien parallèles aux sourcils, parenthèses. Quand la vie ou la scie coupe où il ne faut pas, qu’alors il manque un bout ou que la cicatrice rajoute de la matière, épaissit et complète pour faire l’unicité, la trogne sera belle, quels que soient les critères pourvu qu’on les oublie. Ébranché par la vie, fatigué, épuisé, essoré ou rincé, quand les bras tombent si bas qu’ils nous mettent à genoux, ou abreuvé de trop, de trop bon, de trop riche, d’amour ou bien de vide, on finira toujours avec ce quelque chose d’un peu particulier. On aura un parfum vraiment inimitable, une odeur qu’on ne peut définir et puis dire juste en utilisant un seul mot bien précis, plutôt une senteur en volutes tout autour qui dit une vie dehors à la pluie et au vent ou bien une existence ouatinée au dedans. La trogne saura toujours intriguer et amener, les questions, les pourquoi, les envies de savoir parce qu’on supposera des choses extraordinaires, des histoires dangereuses ou d’une grande volupté, des histoires qu’on ne lira pas à n’importe qui, qui laissent dehors le lisse, le poli, le gentil, le moyen raisonnable, mais où on trouvera tout ce qui fera de nous un clochard merveilleux, un clochard malheureux ou un clochard céleste comme ceux qu’on peut trouver entre les pages du livre de Thomas Vinau