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Fin mars 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Semaine à nuages, semaine de nuages, semaine des nuages. Pas de grands cieux bleus, pas non plus de grands déluges. Une semaine entière à regarder les nuages, tous les étages de nuages, les fins filaments pâles, fils de coton si fins qu’il faut bien qu’ils s’assemblent pour qu’on puisse les repérer, tout là-haut, tout en haut. À l’étage du milieu, coton, chou-fleur, courbes et courbures, rondeur, galbe, arc, arche, arcade comme des dessins d’enfants entre un soleil tout jaune et de l’herbe toute verte. À l’étage du dessous, on n’y voit plus que goutte, gouttelettes, humidité. L’humidité sans forme celle qui s’adapte à tout, qui accueille, qui recouvre, enveloppe et emmitoufle. Elle dissimule aussi, empêche de voir au loin, les montagnes d’en face, leurs sommets qu’on ne sait plus blancs ou déjà tachetés par les pierres, les buissons, les falaises qui sortent de l’hiver pour reprendre des couleurs, mais d’abord du contraste, au-delà des formes trop douces, des formes de la neige, toujours un peu trop proches de celles des nuages.
Toute la semaine passée, on était en nuages, on n’était pas en froid, dans la modération qu’il faut pour les fragiles, bourgeons à peine éclos pour faire feuilles ou bien fleurs. Du côté des couleurs, fini le jaune uniforme, ça s’étend dans le bleu jusqu’à l’ultraviolet, et les feuilles se déplient, étalent à l’envie, à peine sorties des plis, le glabre ou le duveteux qu’elles auront une fois grandes, comme dans le cognassier tout rempli de peluches.
Du côté animaux, les chevreuils, les chamois descendent des forêts jusque dans les ouverts pour gouter les jeunes pousses, les herbes, les bourgeons quand la forêt, plus sage, attend encore un peu avant de passer au vert. Pour l’espace sonore, c’est toujours les oiseaux qui prennent toute la place et du côté de la vue un lézard timide qui vient prendre le chaud au coin d’une éclaircie. Mais par cette météo, même les comptines savent bien qu’il pleut, il mouille rimera avec grenouille et autres batraciens. Alors toujours guetter, pour ne pas les bousculer, les points jaunes sur peau noire des jolies salamandres. Mais de la semaine restera surtout le doux, le flou des nuages qu’on fête ce samedi vingt-neuf mars. Alors les yeux au ciel, une pensée pour Stieglitz et ses photos de nuages prises dans les années vingt et les années d’après. Parce que les nuages, eh bien, on y prend goût !

Fin de mi-mars 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Pas de monotonie pour habiller la semaine. On commence par la neige, venue refaire ici un petit tour de piste, en grande pompe, du grand show. La veille, juste ce qu’il faut de brume et de brouillard pour faire un écran blanc, pour préparer nos yeux à n’y voir que du feu dans le gommage des couleurs. Revenir à la page blanche pour pouvoir retrouver avec soulagement celles qui ont résisté des fleurs téméraires et déjà installées dans le doux du printemps avant que ne soit passé tout risque de caprice, de retour de l’hiver qu’on aurait délaissé un peu trop rapidement au goût des dents de scie du climat de maintenant.
Alors le lendemain sortir pour vérifier et pour se rassurer sur la vivacité de qui vit au-dehors. Pour la plupart des fleurs, elles en sortent fatiguées, mais quand même pas tuées, la chance du débutant pour ces plantes téméraires ou stratégie de l’audace, qui cette fois a payé, ce sera affaire à suivre dans le bilan de l’année, quand une fois de plus et le jour et la nuit feront partie égale, fêteront l’équinoxe, mais celui de l’automne qui marquera le retour des nuits majestueuses et des couleurs d’automne. En ce moment les couleurs, c’est une grande explosion, le jaune du forsythia, le violet des violettes, le pourpre du lamier pourpre et le blanc un peu rose des fleurs du prunier qui fleurit bien trop tôt depuis plusieurs années pour pouvoir faire des fruits à mettre sur les tartes.
Que ce soit un coup de chaud ou encore un coup de froid, ce sera toujours un coup, une violence, un choc, un marron, une châtaigne et quant à s’en remettre ça dépendra de la forme, de la durée aussi, du coup de froid en question puisque c’est souvent lui qu’on redoute au printemps, sans tenir compte du fait qu’une sortie précoce, guidée par un coup de chaud, sera fatale à l’abeille qui s’épuise dans sa quête des fleurs qui dorment encore et ne peuvent la nourrir. Les insectes et les fleurs, c’est une longue histoire de je t’aime moi non plus avec encore souvent les bonnes idées des uns détournées chez les autres, mais avec à la fin du bien mieux pour chacun, comme chez le lamier pourpre ou chez les orchidées que je guette maintenant que leurs feuilles tachetées se déplient à l’air libre.
Et cette fin de semaine, du beau, un peu voilé, du sable en suspension qui rend le loin moins clair et plus indéfini, alors en profiter pour mettre ce qu’on veut dans le loin pas si loin, même si on ne voit pas bien, on peut toujours rêver.

Début de mi-mars 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Moins de beau cette semaine, mais toujours du nouveau, des animaux, des fleurs, des bourgeons qui s’entr’ouvrent avec la grande question, en premières feuilles ou fleurs. Ça dépend des espèces, des stratégies d’avenir, de ce qui est efficace et fait survivre au mieux. Pas de règle, de doctrine, alors affaire à suivre avec toujours la crainte, la trouille et l’apeurement des perfides gelées, tardives et meurtrières. Suivre la météo, ses changements, ses humeurs, et ses imprévisibles qui nous font tant d’angoisse quand nos assiettes dépendent d’un nuage ou d’un souffle.
Météo cette semaine sans visibilité, tous les matins bouchés, brume se poussant parfois jusqu’à devenir brouillard, pour commencer le jour sans savoir ce qu’il sera, si tout est encore là comme il l’était hier. Commencer la journée en laissant une place à l’imagination, peut-être à la fiction, voire jusqu’à l’utopie, au monde qui serait mieux si ceci ou cela, en faisant une place à la crainte du changement, à l’envie de changement, au besoin de changement, à sa nécessité, impérieuse et urgente, en fonction des articles qu’on lit dans le journal.
La nature, elle, avance, sans se soucier nullement de cette unique espèce parmi des milliards d’autres qui s’octroie dans ce monde beaucoup trop d’importance. Les fleurs s’ouvrent aux couleurs, les insectes se réveillent, les batraciens font œufs, du nouveau, du nouveau qui nous ferait oublier de regarder aussi celles qui sont installées depuis la fin de l’hiver. Un peu comme ces images, ces mots jolis, pimpants qui vont si bien ensemble pour faire une expression à l’avenir contagieux ou ceux que l’on retrouve en haut des pages de recherche et qui marquent notre temps en y perdant de leur sens, leur beauté, leur éclat à force de trop d’emploi. Parfois ils ont leur place et un autre n’irait pas, mais il arrive aussi qu’ils fassent mycélium jusqu’à nous envahir en lecture, en écoute, qu’on les trouve partout, qu’ils deviennent lieux communs, plus seulement mots communs. Là j’avoue, j’appartiens à cette espèce humaine toujours écartelée entre les pôles d’extrêmes, qui pratique l’épuisement pour ses prédilections afin de les conduire au plus près que possible d’une pensée de perfection, poussant parfois l’idée jusqu’aux maniaqueries au-delà des habitudes, tout en les redoutant comme des choses détestables. Alors je le redis, hommage aux primevères pour leur précocité, la douceur de leur jaune, leur opiniâtreté à survivre aux gelées et leur longévité, quand je m’irrite bien vite de trouver dans un texte, parfois même dans les miens de ces mots à la mode qui brillent de tous leurs feux en haut des hit-parades lexicostatistiques.

Début de mars 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Semaine de beau temps, printemps. Le calendrier dit non, le merle du matin qui chante le réveil dirait plutôt, évidemment en hauss,ant les épaules, tu n’as qu’à ouvrir la fenêtre, sors donc tu verras par toi-même. Sortons donc.
Le dehors se remplit de tout ce que l’on voit, de ce qu’on ne voit pas, et puis principalement de tout ce qu’on n’a pas encore vu. Pas si simple de les voir, toutes ces nouveautés, il faut les regarder et parfois les chercher, garder une petite place dans nos têtes encombrées pour que l’image reste de ce que nos yeux ont approché, juste frôlé, effleuré. Comme parler du même livre avec une autre personne qui aura repéré un passage différent, un aspect différent, parfois si différent qu’on relira le livre pour y lire ça aussi qui nous a échappé.
Heureusement pour les fleurs, les couleurs nous aident. Le jaune jaune des jonquilles se verra de plus loin que le jaune clair des primevères, le longue distance jaune vert des hellébores d’hiver, présentes depuis longtemps. Et puis d’autres couleurs, le violet du crocus, le pourpre du lamier et sa gueule grande ouverte, mais aussi les odeurs avec celle des violettes qui s’installent en groupe, plus rarement isolées, ce qui aide à les voir même quand, en se promenant, on penserait à autre chose, à cet état du monde du côté des humains qui laisse peu de place pour les admirations.
Avec le chaud reviennent aussi les animaux qu’on avait oubliés, comme les petits lézards, timides mais curieux avec qui on s’exerce à jouer au plus patient, aussi beaucoup de volants, les mouches et les moucherons et les premières abeilles, impatientes, imprudentes. Quand on regarde plus grand, se repaître des formes de la terre encore nue, des grattements des sous-bois qui sont lits pour un jour, quand aux endroits ouverts les vielles enveloppes des végétaux jaunis, aplatis par la neige laissent encore apparaitre, creux et bosses, bosselettes avant que les herbes nouvelles n’imposent au relief leurs vallonnements à elles suivant leurs tailles à elles et leurs contraintes à elles qui changent les paysages, gommant et creux et bosses pour en inventer d’autres juste le temps d’une été. Texture de perspective qui se laissera faire par les caresses du vent, se penchera sous la pluie ou le trop de soleil, mais remplacera quand même les vagues de la terre par ses vagues à elle en attendant l’hiver qui effacera le tableau

Texture

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Granuleux, fibreux, lisse, râpeux, piquant, doux, rugueux, humide, soyeux, velouté, cireux, gras, sec, visqueux, collant, les mots de la texture nous parlent du bout des doigts dans le creux de l’oreille. Suivre les veines du bois, imaginer sa vie, les sécheresses et les pluies ou la cire deux fois l’an et compter les anneaux qui racontent sa vie. Au départ la texture s’occupait du tissu, du tissage et des fils, de leur disposition, de leurs entrecroisements. Et puis comme d’habitude pour beaucoup de nos mots, l’usage s’est étendu. Pour tâter de la texture, rien ne vaudra les doigts, leur peau pleine d’attention saura lire sans faiblir les adjectifs écrits tout en haut de cette page, même si le rêche des jours et des travaux râpeux lui font une carapace. Les yeux aussi pourront questionner la texture, dire là où ils regardent et la façon ensuite de la rendre en dessin, à plat sombres, pointillés, lignes courbes ondulantes, gribouillis erratiques ou traits serrés au chaud, doux comme une fourrure, points pour dire le piquant ou lames pour le coupant, douces ondulations pour la campagne tranquille, lignes droites toutes en angles pour les immeubles des villes et puis un peu partout suivre les veines du bois. Et puis de tous nos sens reste le sens littéraire, dans texture il y a texte pour dire granuleux, fibreux, lisse, râpeux, piquant, doux, rugueux, humide, soyeux, velouté, cireux, gras, sec, visqueux, collant, sans besoin de toucher, sans lumière et sans ombre, simplement grâce aux mots. Alors reste la question de la texture du texte, de son style, de sa forme, en bloc ou paragraphe, lignes désalignées, caractères bien choisis, en forme, en taille, en graisse et en ponctuation, même écrit dans une langue qu’on ne connaîtrait pas, il serait harmonieux à l’œil qui le toucherait. Mais reste l’essentiel, la texture du dedans, que le rugissement des mots, leurs cris, leurs calmes tendres ou leurs émerveillements ne contredisent pas la belle présentation et le papier bouffant. Pourvu que la texture que l’on voit au-dehors fasse sens et réponse à la texture des mots, la texture des échos qui resteront toujours gravés dans nos mémoires

Fin février 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Semaine de temps couvert, nuages, pluie et puis brume avec même un peu de neige, ciel à texture variable, contrastes et valeurs pour faire une œuvre d’art de chaque regard en haut, un tableau d’Angleterre, de Turner, de Constable. Musée à ciel ouvert, musée de cieux couverts.
Pour les couleurs aussi tout se passe là-haut, en attendant les fleurs qui s’apprêtent tranquillement dans le confort contraint de leurs douillets boutons, arc en ciel, crépuscules et levers de soleil sont là pour compléter les palettes un peu ternes des jours simplement gris.
Mais le gris est bienvenu aux environs de la mare pour la tranquillité de tous les nouveau-nés. La nurserie se rempli, petites salamandres avec déjà aux pattes deux minces taches jaunes, en attendant les autres qui viendront avec l’âge et cette mutation des plus définitives pour respirer dans l’air et plus du tout dans l’eau. Oublier un moment, à la faveur des brumes, les vues qui portent loin et reposer les yeux sur les détails du près, ce qui est à nos pieds et qu’on ne voyait plus. Attention aux indices, exercices de devinettes et jeu d’observation, des points jaunes sur les pattes des habitants de la mare aux bourgeons qui s’étirent, qui pensent même à s’ouvrir, si bien qu’on commence presque à voir qui vient en dessous, la couleur de la fleur ou le vert de la feuille.
Voir c’est déjà beaucoup, mais ce serait oublier toutes les autres antennes qui nous aident à connaître le monde autour de nous, à écouter le printemps, les oiseaux qui s’agitent et s’affairent pour le nid, pour trouver l’aile sœur, mais aussi, ce printemps, le humer, le toucher et même le déguster. Nos papilles en salivent, de toutes ces petites herbes, moelleuses et bien tentantes après les mois d’hiver remplis de pâteux raves ou de coriaces tiges qui résistent certes au froid, mais manquent parfois de finesse au moins de diversité, alors est bienvenu le temps des feuilles tendres et des douces verdures, on accepte même l’amer comme pâle contrepartie au retour des salades et des petites herbes : plus de sorties sans avoir en tête cette secrète carte des bons coins pour trouver telle herbette ou telle autre, apprendre à les connaître et à les reconnaître, un hommage à tous ceux et surtout à toutes celles parmi tous nos ancêtres qui n’ont dû leur survie, plus souvent leur santé et celle de leurs proches qu’à ces herbes de printemps.

Fin de mi-février 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Février. Juste les sommets blanchis pour bien nous rappeler que le mois de février est encore en hiver. Hiver, été, calendrier, inventions des humains, bien loin de la nature, de ses saisons à elle avec ses départs tôt, ses départs plus tard, et ses départs volés qui seront vite sanctionnés par une gelée tardive. Mais les fleurs tentent quand même de sortir un pétale, voire toute une corolle pour être la première à fleurir au parterre, comme cette petite fraise encore timide et frêle, cachée parmi les feuilles et les tiges rassurantes contre les coups de froid dans leur jolie fourrure. Alors les petites fraises pointent le bout de leur nez, le cœur dans les pétales d’un blanc éblouissant avant de faire les grandes, de se farder d’un rouge d’une écarlate beauté.
Le vert n’est pas en reste, les premières feuilles sont là, elles se dressent, se déplient, se défroissent et s’affirment, elles ouvrent grand leurs becs, avides de l’humide et puis de la lumière. Le vert c’est le signal aussi pour les chamois qui descendent, s’enhardissent, se risquent à découvert pour ces herbes si tendres.
Dure vie que celle des plantes qui ne peuvent se sauver devant leurs prédateurs. Mais c’est vite oublier que nul n’est à l’abri, et que tout ce qui vit finira tôt ou tard dans la gueule d’un microbe ou d’une bactérie. Tout le secret de la vie réside donc dans le tard du fameux tôt ou tard. Alors pour que ce tard soit le plus tard possible, toute stratégie est bonne, comme se charger d’amer en suivant le pissenlit ou vivre plutôt de nuit comme la chouette hulotte qui hulule à la lune quand la nuit est tranquille.
Le printemps est le temps pour penser à l’avenir, temps d’affiner son chant et de farder ses plumes, de faire les plus belles fleurs qui auront toutes les chances de faire les meilleurs fruits ou de se creuser une loge avec vue sur la mer ou au moins sur le large quand on vit en montagne et qu’on est un pic noir, un pic vert, pic épeiche ou n’importe quel pic impatient de piquer. Alors on ne saura pas quelle mouche nous a piqués, mais impatience aussi du côté des humains qui commencent les semis ou gratouillent au jardin. Pour ceux qui ont moins de vert tout autour de chez eux, temps de lever les yeux sur les arbres des avenues ou bien de les baisser sur les vertes intrépides qui repoussent les pavés pour se faire une place et verdiraient les villes si on les laissait faire, nous autres humains peu clairs qui se plaignent du gris en arrachant le vert

Début de mi-février 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Le temps qu’il fait, la météo, au-delà de mettre un pull, parapluie ou bonnet, c’est la vie et la mort pour beaucoup du dehors. Eau, neige, glace, vent, chaleur, ombre et lumière, c’est ça qui donne le la, la couleur et l’à venir quand on ouvre la porte le matin au réveil. Tandis que pour le dehors, le temps de la météo est aussi continu que le temps des horloges, le vent, le froid, l’humide ne font jamais de pause le soir au coin du feu. Pas de cabanes pour primevères, alors les enjeux changent, ils se font plus pressants, plus dramatiques aussi quand on a que sa peau, son écorce, sa coquille pour servir de refuge. Et le dilemme est grand, sortir dès qu’il fait beau, rallonger sa saison et ses chances de faire graine ou jouer la prudence pour éviter le gel et la perte des espoirs pour l’année à venir.
Quand on arrive là sans savoir le temps d’avant, pour connaître l’humide, juste regarder les mousses et celles de la famille, les petites si costaudes, des pionnières, des premières sur les troncs, les rochers, sur tout ce qui est gris. Les feuilles le long du corps pour ne pas laisser le sec ou le vent ou le gel emmener toute leur eau, elles deviennent rêches et sèches, mais reprennent leur joufflu dès que la pluie revient. Ou bien l’humidité d’un brouillard lourd et dense qui fait pull en grosse laine avec chaud col roulé.
Pour nous autres humains, quand le brouillard est là, le regard arrêté se pose un peu plus près, sur ce qu’on ne voyait plus ou qu’on ne voyait pas. Bourgeons qui tirent doucement sur la main de leur branche, qui veulent devenir grands, qui veulent se mettre au vert, avoir leurs feuilles à eux, et puis leurs fleurs à eux et puis leurs fruits à eux, qui veulent devenir arbres, comme le chêne centenaire qui les regarde de haut, eux qui se voient déjà là, squatter la canopée, qui nous donnent le sourire par leur bel enthousiasme, leur fraîcheur juste née, leur fierté enfantine, bourgeons de noisetier qui jouent les rois soleil dans un rayon de lumière

Début février 2025

Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors

Début février, l’hiver berce, endort, nous fait glisser doucement dans une torpeur tranquille, une sorte d’hibernation. Et on se laisse prendre, surprendre, par des signes qui nous disent de profiter de l’hiver, de la nudité des arbres, des sculptures blanches du givre, du noir et blanc tout cru des sapins sur la neige, des sommets sur le ciel, des nuages endormis dans le creux des vallées engoncées dans l’amer de leurs pulls de fumées, avant que le printemps ne nous affole de couleurs, de cris et puis d’odeurs. On a encore le temps de savourer le soleil levé plus tard que nous, sa course qui ne cherche pas à atteindre les hauteurs, indiscret bienvenu qui rentre par la fenêtre pour faire vivre les parquets, leur redonner un temps des teintes de jeunes branches.
Pourtant on voit déjà que le froid se replie, même s’il n’hésite pas à encore bien marquer sa présence par ici, on glisse doucement vers des journées plus chaudes. Le jour dure plus longtemps, surtout l’après-midi et tout le monde l’a noté. Tombées au gras du sol les graines doucement s’entrouvrent, nourries de feuilles mortes et de l’humidité qui fait les bruns plus sombres, les ferait presque noirs. Noirs, blancs, pour faire vivre les contrastes, les gelées blanches du matin et le givre sur les arbres, comme un manteau de fourrure, cocon ou chrysalide, et les cristaux de glaces, leçons de symétrie déposées dans les flaques. Alors une sorte d’urgence à profiter de ce qui va changer, disparaitre, se transformer. Les arbres pensent à leurs feuilles, à leurs fruits, à leurs fleurs, tirant sur leurs bourgeons. Déjà les noisetiers teintent de jaune leurs chatons, couleur des primevères qui elles aussi renaissent pour mettre un peu de couleurs en bordure des chemins. Bourgeons encore fermés, branches encore dénudées, sans les feuilles, sans les fleurs, pouvoir encore un peu voir à travers ce qui va devenir un rideau, un mur, un empêchement qui cachera les oiseaux pour leur bonheur à eux, notre malheur à nous. Pour l’instant, regarder les mésanges avides, pressées à la mangeoire, qui prennent juste une graine et filent, toujours inquiètes malgré leur effronterie, leur agressivité envers un plus petit, un plus influençable ou juste un plus peureux. Et les jours de brouillard, les regarder filer, s’enfoncer dans le blanc, coton dense et vorace qui va les avaler bien avant que nos yeux ne puissent plus les suivre.

Courant

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Adjectif, substantif, ou participe présent du verbe courir, les courants sont nombreux et sont tous en mouvement, un mouvement qui entraîne, qui traîne dans son sillage tout ce qui était là, accessible au courant. Un mot pour plusieurs sens, c’est une chose courante. Alors, suivre le flot ou remonter le courant ce sera affaire de choix ou de chance ou les deux. Souvent on est courant, cavalant, galopant, sautant de-ci, de-là, d’une opportunité à saisir au plus vite, à une si belle idée, les choses à ne pas rater et aussi l’air du temps, se laisser attirer par les lumières si belles, un doux son entraînant ou un parfum suave, les couleurs, la chaleur et les encouragements dont la sincérité peut être discutable, mais qu’on ne discute pas enveloppés, séduits, emmaillotés par d’autres qui voient plus loin que nous et surtout d’un autre œil. (Comment ? vous n’êtes pas au courant !) Souvent on est soi-même à l’origine du fil pour nous embobiner. On est dans le courant, dans les affaires courantes, celles de la vie courante et de nos comptes courants, ficelés par nous-mêmes à des choses, des affaires, à des obligations. Gulf Stream que nos vies avec parfois quand même des écueils, des obstacles, des effets sur les bords qui nous font bifurquer, prendre un contre-courant, direction différente, étonnante, terrifiante pour ceux qui sont restés bien au milieu du flot qui les entraîne, tranquilles, sans jeter un regard sur les bords, sur les rives. (Comment ? vous n’êtes pas au courant !). Et un jour on est là, à regarder filer cette eau qui reviendra, dans quelques heures à peine, pour une nouvelle marée. Elle aura emmené tout ce qui n’était pas solidement attaché, au fond ou bien au bord, enfin à la terre ferme. Écrire sans le courant et loin des grands courants, ne pas se laisser aller, ne pas se laisser noyer dans le courant du courant qui emmène gentiment, mais emmène fermement. Et puis parfois par chance, on agrippe une bouée, on s’amarre, on s’attache et on souffle un moment, parce que contre courant rime avec épuisant. Comment ? vous n’êtes pas au courant ?