Journal hebdomadaire de la nature autour, promenade, branche dessus, branche dessous, avec le grand dehors
Semaine à nuages, semaine de nuages, semaine des nuages. Pas de grands cieux bleus, pas non plus de grands déluges. Une semaine entière à regarder les nuages, tous les étages de nuages, les fins filaments pâles, fils de coton si fins qu’il faut bien qu’ils s’assemblent pour qu’on puisse les repérer, tout là-haut, tout en haut. À l’étage du milieu, coton, chou-fleur, courbes et courbures, rondeur, galbe, arc, arche, arcade comme des dessins d’enfants entre un soleil tout jaune et de l’herbe toute verte. À l’étage du dessous, on n’y voit plus que goutte, gouttelettes, humidité. L’humidité sans forme celle qui s’adapte à tout, qui accueille, qui recouvre, enveloppe et emmitoufle. Elle dissimule aussi, empêche de voir au loin, les montagnes d’en face, leurs sommets qu’on ne sait plus blancs ou déjà tachetés par les pierres, les buissons, les falaises qui sortent de l’hiver pour reprendre des couleurs, mais d’abord du contraste, au-delà des formes trop douces, des formes de la neige, toujours un peu trop proches de celles des nuages. Toute la semaine passée, on était en nuages, on n’était pas en froid, dans la modération qu’il faut pour les fragiles, bourgeons à peine éclos pour faire feuilles ou bien fleurs. Du côté des couleurs, fini le jaune uniforme, ça s’étend dans le bleu jusqu’à l’ultraviolet, et les feuilles se déplient, étalent à l’envie, à peine sorties des plis, le glabre ou le duveteux qu’elles auront une fois grandes, comme dans le cognassier tout rempli de peluches. Du côté animaux, les chevreuils, les chamois descendent des forêts jusque dans les ouverts pour gouter les jeunes pousses, les herbes, les bourgeons quand la forêt, plus sage, attend encore un peu avant de passer au vert. Pour l’espace sonore, c’est toujours les oiseaux qui prennent toute la place et du côté de la vue un lézard timide qui vient prendre le chaud au coin d’une éclaircie. Mais par cette météo, même les comptines savent bien qu’il pleut, il mouille rimera avec grenouille et autres batraciens. Alors toujours guetter, pour ne pas les bousculer, les points jaunes sur peau noire des jolies salamandres. Mais de la semaine restera surtout le doux, le flou des nuages qu’on fête ce samedi vingt-neuf mars. Alors les yeux au ciel, une pensée pour Stieglitz et ses photos de nuages prises dans les années vingt et les années d’après. Parce que les nuages, eh bien, on y prend goût !
Fin avril, le solstice d’été n’est plus très loin et les journées sont déjà appréciablement longues. Bien agréable pour profiter des longues soirées et pouvoir étirer les après-midis, mais pour le lever de soleil, pas question de trainer dans son lit. Être debout à cinq heures permet de profiter de la douce lumière du début du jour et du réveil progressif de la ville et de ses habitants. Les trottoirs d’ardoises brillent de la bruine d’hier soir, de la rosée du matin et de l’humidité apportée par la mer, surface idéale pour refléter les couleurs chaudes qui se posent doucement sur les maisons, les rues, les bateaux et les très rares arbres protégés par les murs de la ville comme par des remparts. Encore personne dans les rues, une agréable impression de moment unique et privilégié, de découvrir une ville déserte, désertée, qui va lentement lever un rideau de fer par ici et ouvrir une fenêtre par-là. Prise au dépourvu et pas encore apprêtée, elle montre son vrai visage, pas celui qu’elle va trop vite se construire pour le public. Déjà le ciel vire au grand bleu, comme prévu par la météo. Les fins nuages qui se fardaient de rose et d’orangé en admirant leur reflet dans l’eau calme du port et de la baie se sont éloignés jusqu’à quitter la scène en laissant place à une lumière plus dure et plus impersonnelle qui défie les statistiques météo dont le menu ordinaire et basé sur le gris, le couvert, les nuages, la pluie et le vent.
Toujours question menu, celui du petit déjeuner proposé dans les cafés du centre de Lerwick est copieux, alléchant et pas du tout continental. Œufs, bacon, saucisses, haricots et toasts forment la base, une base solide sur laquelle on a ensuite le loisir de construire toute sorte de fantaisies, dont le fameux black pudding, cousin du boudin noir dont le plus réputé serait (selon certaines papilles ;)), celui de Stornaway, sur Lewis et Harris. Ensuite reste la possibilité d’ajouter des champignons, des tomates, galettes de pommes de terre, scones, et compagnie, ce qui se rapprocherait vaguement des simplistes tartines du continent. Pour le café, la distance avec l’espresso italien se mesure rapidement au volume du breuvage servi, plutôt dans un mug bien rempli que dans un dé à coudre en porcelaine. Dans cette partie du monde, le matin c’est copieux et ça vous met en forme pour partir en balade quel que soit le temps ou presque.
Saint-Ninian est située au sud-ouest de l’île principale. C’est une île, elle aussi, ou presqu’île en fonction des tempêtes, des courants, des marées, des vagues et des vents qui déplacent le sable, les cailloux, coquillages et autres sédiments qui formeront ou effaceront le tombolo reliant Saint-Ninian à l’île principale. Plus rarement Saint-Ninian est île, surtout lors des grosses tempêtes d’hiver et de printemps. Aujourd’hui, c’est une presqu’île avec traversée à pied sec d’un demi-kilomètre d’une île à l’autre, une plage qui aurait une mer de chaque côté. Sur Saint-Ninian, restes en ruine de chapelle, et surtout beaucoup d’herbe, plus personne n’y habite maintenant, elle est utilisée pour faire pâturer les moutons. Ce qui fait de Saint-Ninian un endroit si unique, ce ne sont pas ses ruines ou son herbe, mais bien le trait d’union, la fine ligne de sable jaune entre deux terres solides, entre deux taches d’eau bleue. Ce tombolo de Saint-Ninian est le cordon littoral le plus long de Grande-Bretagne, le même genre de formation qu’on retrouvait entre le Mont Saint-Michel et la terre avant la construction de la route puisqu’un tombolo est constitué de sable et de graviers, de sédiments transportés par la mer. C’est une plage qui se prolonge au-delà de la pointe de terre qu’elle borde et qui rejoint, dans certains cas, un phénomène semblable sur la terre d’en face, pour former un lien, un passage, une chaussée. Alors marcher dans le sable, accepter que les pas prennent appui sur du vent, marcher une autre marche que celle qu’on marche en ville, sur les sentiers de pierres, sur n’importe quel sol dur. Ne pas mettre tout son poids sur le pied en appui, en porter une partie déjà sur l’autre pied, comme un pas en suspens, une façon d’effleurer, de ne surtout pas peser, de ne pas écraser, de rester souple aussi, presque de voleter. Une façon de marcher qui nous plonge en entier dans la délicatesse, alors garder en tête une fois de l’autre côté de ce passage en suspens, l’idée de légèreté, se poser sur un banc et regarder la mer ou se faire invisible tout en haut des falaises qui abritent les fulmars qui s’en vont et reviennent sans presque battre des ailes, élégance sur fond bleu.
Pour revenir au passé, voir les ruines de la chapelle, quelques restes de mur de quoi dire l’emplacement des croyances d’avant, de la ferveur des îliens qui faisaient de la religion ce qui reste bien visible, et le restera même après de nombreux siècles. Ensuite pour l’à venir, les lances vertes des feuilles des iris des tourbières, qu’on appelle chez nous des iris des marais, pour l’instant juste les feuilles, les fleurs viendront plus tard, donc supposer seulement et puis rêver un peu, au moins imaginer la couleur du tapis une fois qu’ils seront fleuris.
Reprendre la voiture, remonter vers le nord. Une seule route pour parcourir la péninsule sud de Mainland, celle qui mène à Lerwick. Donc reprendre la route de Lerwick, mais presque arrivé à hauteur de la capitale actuelle, prendre la direction opposée pour aller voir l’ancienne capitale Scalloway. Une route un peu comme ces frises historiques qu’on avait à l’école, passé à gauche et présent à droite, avec des étapes comme des villages sur une route. Pourtant, Scalloway avait de nombreux atouts en tant que capitale, port naturel abrité par la forme de son littoral autant que par les îles, entouré de la vallée fertile de Tingwall aux pentes douces et propices à l’agriculture, des ressources en eau potable abondantes et faciles d’accès et surtout des collines pour la protéger des principaux vents dominants. Mais en 1838, Lerwick, qui s’est considérablement étendue sous l’influence des pêcheurs hollandais, s’impose comme centre économique de l’île. De cette époque où Scalloway était plus en lumière, restent les murs sans toit du château construit aux alentours de 1600 pour Black Patie, Earl Patrick Stewart, comte des Orcades et des Shetlands de sinistre réputation et à la cruauté pas uniquement légendaire. Restent également des histoires de sorcières brûlées sur Galllow Hill jusqu’en 1700 pour clore le côté sombre. Plus récemment et plus positif, Scalloway était le terminus du Shetland Bus, qui permit, durant la deuxième guerre mondiale, évasions, transports d’armes et évacuations entre la Norvège occupée et les Shetlands, grâce une flotte discrète de bateaux de pêche en bois qui n’ont pas hésité à prendre clandestinement la mer, le plus souvent de nuit et en hiver pour assurer cette liaison. Aujourd’hui, Scalloway est une petite ville tranquille, très tournée vers la pêche, tant pour la recherche que pour la formation. Scalloway a également abrité Jim O’ Berry, mécanicien autodidacte de génie, capable de construire des avions comme d’inventer une machine à éviscérer les poissons encore utilisée actuellement partout dans le monde. Enfin pour rejoindre le côté festif et culturel, Scalloway est la première étape du festival Up Helly Aa ou festival du feu qui célèbre, à la fin du mois de janvier, la lumière et l’héritage scandinave de l’archipel.
Et puis reprendre la route. Laisser trainer ses yeux, les laisser s’attarder où ils en ont envie, sur la courbe d’une colline, sur le vert d’une fleur, un reflet sur la mer, les vagues sur la plage, le contraste, la bataille qui dure depuis des siècles entre l’opiniâtreté des vagues à détruire la falaise et la résistance calme de cette même falaise, les courbes dans les airs d’un oiseau qu’on reconnait ou la silhouette d’un autre qu’on a un peu de mal à bien identifier, un mouton dans un champ, le mur de son enclos fait de pierres empilées avec art et patience, et les petits agneaux à la démarche hésitante, au bêlement attendrissant, les noms sur les pancartes qu’on peine à déchiffrer, qui disent des influences mélangées des Scandinaves, des Celtes et de tant d’autres et puis ces noms qu’on rit d’avoir su déchiffrer, comme l’improbable Twatt qu’il faudra traverser pour retrouver la mer du côté de Sandness et de la plage de Melby où profiter du brun et des algues et des loutres dans le soleil couchant sur fond de mer bleu calme, quand les reliefs teintés de reflets orangés font les plus beaux contrastes avec les zones d’ombre.
Reprendre la route enfin qu’on dit route du retour mais puisque rien ne presse, profiter tant qu’on l’a de cette lumière chaude qui cache les moutons noirs et donne un air plein de mélancolie aux maisons abandonnées avec leurs murs en ruine et leur toits écroulés qui par un jour de pluie grisâtre et désolé n’auraient su ne parler que tristesse et misère. Un peu plus loin ce sont les gradins de la tourbe qui se donnent en spectacle, longs serpents aux écailles construites à coups de bêches qui viennent s’abreuver dans les lochs tranquilles. Les paysages aussi profitent de la lumière, falaises de granit rouge et stacks impressionnants plantés droits dans la mer qui rendent encore plus magnifiques les falaises de la côte jusqu’à Giltarump, déchirées de cascades qui tombent dans la mer. Profiter de la lumière qui fait ressortir le clair d’un couple de goélands installés, cabotins, sur un carré d’herbe rare au milieu de la falaise, ou le phare rassurant dans ses beaux habits blanc et son chapeau d’un jaune-orangé-brun si indéfinissable qu’il en est reconnaissable, pas encore allumé mais qui le sera bientôt pour aider les bateaux à faire transition entre la mer et la terre. Quitte à rentrer bien tard, accorder un coup d’œil au bélier immobile en haut de sa colline qui attends la photo pour pouvoir affirmer qu’il a les plus belles cornes qui se verront encore avant qu’il ne fasse tout noir et que nos yeux ne doivent passer du sol au ciel pour voir des choses brillantes.
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Pas de monotonie pour habiller la semaine. On commence par la neige, venue refaire ici un petit tour de piste, en grande pompe, du grand show. La veille, juste ce qu’il faut de brume et de brouillard pour faire un écran blanc, pour préparer nos yeux à n’y voir que du feu dans le gommage des couleurs. Revenir à la page blanche pour pouvoir retrouver avec soulagement celles qui ont résisté des fleurs téméraires et déjà installées dans le doux du printemps avant que ne soit passé tout risque de caprice, de retour de l’hiver qu’on aurait délaissé un peu trop rapidement au goût des dents de scie du climat de maintenant. Alors le lendemain sortir pour vérifier et pour se rassurer sur la vivacité de qui vit au-dehors. Pour la plupart des fleurs, elles en sortent fatiguées, mais quand même pas tuées, la chance du débutant pour ces plantes téméraires ou stratégie de l’audace, qui cette fois a payé, ce sera affaire à suivre dans le bilan de l’année, quand une fois de plus et le jour et la nuit feront partie égale, fêteront l’équinoxe, mais celui de l’automne qui marquera le retour des nuits majestueuses et des couleurs d’automne. En ce moment les couleurs, c’est une grande explosion, le jaune du forsythia, le violet des violettes, le pourpre du lamier pourpre et le blanc un peu rose des fleurs du prunier qui fleurit bien trop tôt depuis plusieurs années pour pouvoir faire des fruits à mettre sur les tartes. Que ce soit un coup de chaud ou encore un coup de froid, ce sera toujours un coup, une violence, un choc, un marron, une châtaigne et quant à s’en remettre ça dépendra de la forme, de la durée aussi, du coup de froid en question puisque c’est souvent lui qu’on redoute au printemps, sans tenir compte du fait qu’une sortie précoce, guidée par un coup de chaud, sera fatale à l’abeille qui s’épuise dans sa quête des fleurs qui dorment encore et ne peuvent la nourrir. Les insectes et les fleurs, c’est une longue histoire de je t’aime moi non plus avec encore souvent les bonnes idées des uns détournées chez les autres, mais avec à la fin du bien mieux pour chacun, comme chez le lamier pourpre ou chez les orchidées que je guette maintenant que leurs feuilles tachetées se déplient à l’air libre. Et cette fin de semaine, du beau, un peu voilé, du sable en suspension qui rend le loin moins clair et plus indéfini, alors en profiter pour mettre ce qu’on veut dans le loin pas si loin, même si on ne voit pas bien, on peut toujours rêver.
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Moins de beau cette semaine, mais toujours du nouveau, des animaux, des fleurs, des bourgeons qui s’entr’ouvrent avec la grande question, en premières feuilles ou fleurs. Ça dépend des espèces, des stratégies d’avenir, de ce qui est efficace et fait survivre au mieux. Pas de règle, de doctrine, alors affaire à suivre avec toujours la crainte, la trouille et l’apeurement des perfides gelées, tardives et meurtrières. Suivre la météo, ses changements, ses humeurs, et ses imprévisibles qui nous font tant d’angoisse quand nos assiettes dépendent d’un nuage ou d’un souffle. Météo cette semaine sans visibilité, tous les matins bouchés, brume se poussant parfois jusqu’à devenir brouillard, pour commencer le jour sans savoir ce qu’il sera, si tout est encore là comme il l’était hier. Commencer la journée en laissant une place à l’imagination, peut-être à la fiction, voire jusqu’à l’utopie, au monde qui serait mieux si ceci ou cela, en faisant une place à la crainte du changement, à l’envie de changement, au besoin de changement, à sa nécessité, impérieuse et urgente, en fonction des articles qu’on lit dans le journal. La nature, elle, avance, sans se soucier nullement de cette unique espèce parmi des milliards d’autres qui s’octroie dans ce monde beaucoup trop d’importance. Les fleurs s’ouvrent aux couleurs, les insectes se réveillent, les batraciens font œufs, du nouveau, du nouveau qui nous ferait oublier de regarder aussi celles qui sont installées depuis la fin de l’hiver. Un peu comme ces images, ces mots jolis, pimpants qui vont si bien ensemble pour faire une expression à l’avenir contagieux ou ceux que l’on retrouve en haut des pages de recherche et qui marquent notre temps en y perdant de leur sens, leur beauté, leur éclat à force de trop d’emploi. Parfois ils ont leur place et un autre n’irait pas, mais il arrive aussi qu’ils fassent mycélium jusqu’à nous envahir en lecture, en écoute, qu’on les trouve partout, qu’ils deviennent lieux communs, plus seulement mots communs. Là j’avoue, j’appartiens à cette espèce humaine toujours écartelée entre les pôles d’extrêmes, qui pratique l’épuisement pour ses prédilections afin de les conduire au plus près que possible d’une pensée de perfection, poussant parfois l’idée jusqu’aux maniaqueries au-delà des habitudes, tout en les redoutant comme des choses détestables. Alors je le redis, hommage aux primevères pour leur précocité, la douceur de leur jaune, leur opiniâtreté à survivre aux gelées et leur longévité, quand je m’irrite bien vite de trouver dans un texte, parfois même dans les miens de ces mots à la mode qui brillent de tous leurs feux en haut des hit-parades lexicostatistiques.
25 avril, jour du départ. Le voyage commence vraiment, il commence par les pieds qui se hâtent dans les couloirs si neutres des grands aéroports, dans les mains qui tiennent ferme les poignées des bagages, le voyage est bien là, plus seulement dans la tête. Dans la tête, le jour du départ n’a pas vraiment de date, c’était il y a bien longtemps, une image, un nom, lu sur une carte, en description d’une image, prononcé dans une conversation ou entendu dans une vidéo, un nom en l’air qui s’installe dans la tête pour y construire son nid. Une idée qui grossit jusqu’à devenir projet, billet d’avion, réservations, voyage. Pourquoi là, juste là et à ce moment-là, on a plein de raisons, celles qu’on identifie et puis les autres aussi qui font qu’un jour l’idée finit en haut de la liste et qu’on fixe une date dans le calendrier.
Tout ce qu’il y a à faire avant ce grand jour-là, nous rapproche du voyage, nous le rend plus concret avec déjà les listes du côté matériel de la réalité. Vérifier le passeport, le grand sac à remplir pour ne manquer de rien, mais sans trop se charger pour ne pas s’encombrer, les choses à acheter ou à se faire prêter, compléter l’équipement, faire une liste de bouquins, à lire avant le départ et puis pendant le voyage pour les moments de creux ou s’endormir le soir, les sites à visiter et puis notre attention tiraillée par la manche par des histoires, des mots ou surtout des images qui ne nous auraient pas fait lever le moindre cil il y a quelques semaines, mais maintenant nous rappelle le voyage imminent et la destination. Le seul nom de Shetland fonctionne comme un aimant dont la force s’accroit quand la date du départ ne se rapproche plus en mois, mais en semaines ou en jours.
Et maintenant on y est. Nuit courte d’excitation et puis de départ tôt pour profiter du jour au moment de l’arrivée. Aéroports, couloirs, tapis roulants, couloirs, guichets avec numéros, avec lettres, avec logos des compagnies aériennes, couloirs, employés uniformes même si les couleurs changent avec l’entreprise. D’autres voyageurs aussi qui font le plus grand nombre des humains qu’on rencontre dans un aéroport. Des gens que l’on côtoie ou que l’on croise à peine, qui vont dans l’autre sens tout chargés de bagages, de souvenirs, de peurs ou bien d’attentes suivant qu’ils s’en reviennent ou bien qu’il se dirigent vers leur destination. Avec eux, on partage du temps, des anecdotes, des sourires amusés ou des énervements, ils sont sujets d’étude, moyens de distraction ou bien de rigolade, d’émotions partagées. On passera comme eux au guichet du douanier tranquille ou pointilleux qui épluche les papiers et démonte les bagages au point de nous faire croire qu’on va manquer l’avion. Et puis enfin l’appel du haut-parleur trop sourd et qu’on entend à peine à cause des gens qui crient d’avoir perdu l’enfant, ou que le dernier du groupe prenne enfin la mesure de l’urgence de courir pour assurer la suite. Mais enfin on y est devant cette fameuse porte avec les gens qui poussent pour passer avant vous ou resquiller une place dans la file d’attente quand chacun a la sienne inscrite sur son billet. Escalier ou couloir, sans sortir ou sentir l’odeur du kérosène et le bruit des moteurs, on entre dans l’avion, bousculade pour trouver une place pour son sac dans les coffres trop petits et puis tout le monde s’assoit, on boucle sa ceinture, l’annonce et les fameuses consignes de sécurité, hôtesse en sémaphore qui agite les bras quand personne ne l’écoute, quand ceux qui la regardent ont le sourire moqueur collé au coin des lèvres, avec l’hôtesse elle-même qui suinte la lassitude de la répétition derrière son lisse sourire.
Décollage. Anxiété affichée, habitude ou dédain, on est collé au siège tous autant que l’on est. Et puis les choses se calment, on attaque la croisière et son rythme tranquille. C’est le moment de lire pour ceux qui ont un livre dans le trop petit bagage qu’on aura eu le droit de garder avec soi.
Lire dans l’avion. Alternance d’attention et de dérangements, aussi de distractions. Les autres passagers, les annonces, déplacements, et sollicitations compliquent la lecture, alors être capable de rentrer et sortir du bouquin en question sans pour autant chaque fois revenir en arrière pour se remette dans le bain, exercice difficile, au moins plus compliqué que ce qu’il n’y parait, comme de lire dans le train. Une idée par exemple, excepté le cas spécial de l’envie de savoir la suite pour une histoire en cours, est de choisir un livre qui va nous en dire plus sur la destination, comme un filtre artistique ou juste un regard autre, comme on connait un lieu d’après une peinture. Ce sera une lecture par contraste ou écho pour construire doucement le voyage à venir, qui nous met dans la tête une idée de paysage que l’on pourra ensuite découvrir pour de vrai, une idée comme un endroit vu de loin ou de haut ou dans une lumière faible, dans une sorte de brume. On n’arrivera pas en page blanche et vide dans ce nouvel endroit, on aura déjà en tête une sorte de croquis qu’il faudra compléter, détailler, peaufiner. Corriger parfois, mais qui fera support, qui sera si précieux pour nous permettre de choisir, plutôt là-bas qu’ici. De se sentir un peu en pays d’habitude, car nous autres humains sommes êtres d’apprivoisement, de familiarité et de peu d’aptitude à tout saisir d’un coup de ce qui est nouveau. Lire avant de partir pour ne pas débarquer comme Axel Lidenbrock au centre de la terre, comme un cheveu sur la soupe. Comme vient l’habitude de déchiffrer les noms, les mots ou les accents qu’on aura déjà lu. Le difficile de lire dans ce genre d’endroits tient aux interruptions, à ces obligations de sortir du bouquin que l’on ne maitrise pas. Il est vraiment très rare que l’avion ait l’élégance d’atterrir à la fin du chapitre, il faut alors quitter l’histoire ou le récit au beau milieu d’une page, au beau milieu d’une phrase.
Pour aller aux Shetlands, il faut plusieurs atterrissages dans le même voyage, correspondance à Amsterdam puis Aberdeen avant que le dernier avion, le plus petit avec ses hélices que les anxieux ou les amateurs peuvent observer par le hublot, ne se pose sur la piste de Sumburgh. Premier contact avec les iles Shetland, tout au sud de Mainland, la plus grande et la plus peuplée des îles de l’archipel. En regardant vers le nord, on a sous les yeux la centaine d’îles, dont une quinzaine habitée qui compose les Shetlands. Sur la carte, l’archipel est étroit et très allongé, déjà une quarantaine de kilomètres entre Sumburgh et Lerwick, la capitale administrative et la ville ayant le plus d’habitants.
À l’aéroport, récupérer ses bagages, prendre possession de la voiture de location qui servira tout au long du séjour, y caler valises, sacs et vêtements, prendre ou reprendre ses marques avec le volant placé du côté droit et les vitesses à gauche, inverser ses réflexes pour les jours à venir, s’installer dans les sièges avec cette odeur de produit de nettoyage toujours un peu trop frais ou un peu trop fleuri, enfin un peu trop là. La main gauche passe la vitesse, les pieds aussi s’inversent, la main, pendant ce temps cherche le clignotant, non, l’autre main. Et puis on s’habitue, on intègre tout ça et les yeux se hasardent ailleurs que sur la route ou sur les boutons et manettes qu’on trouve désormais sans le secours du regard. Il fait beau, quelques nuages, mais rien de menaçant, prendre la route du nord. Les noms de villages défilent le long de la principale A970. Dunrossness, Levenwick, Channerwick, Cunningsburgh, Fladdabister, Quarff, Gulberwick et enfin Lerwick. Quitter les vues sur mer, les prairies, les moutons, les jonquilles, les clôtures barbelées qui délimitent les champs, les parcs pour les bêtes, mais qui doivent compliquer les envies de randonnées.
À Lerwick, s’installer dans l’appartement loué pour le séjour au centre de la ville avec vue sur le port en se penchant une peu. Juste poser les bagages et vite retrouver les rues. Pas d’immeubles par ici, des maisons de pierres grises, trois étages pour les grandes, solides, sobres pour la plupart, toits d’ardoises d’un gris un peu plus sombre que les murs, des fenêtres pas trop grandes, boiseries peintes en blanc, ouvertures guillotines. Ici le vent est chez lui, ne pas donner trop de prises aux tempêtes qu’on devine comme étant choses sérieuses, tout est bien attaché, propret et bien rangé, rues au sol goudronné, et trottoirs pavés de grandes dalles de pierres de teintes différentes même si le gris domine.
Dans le pub choisi pour un premier contact, on boit surtout de la bière, accoudé au comptoir, quelques tables quand même, mais garder une grande place pour le jeu de fléchettes. Un tapis en longueur délimite la zone où ne pas se tenir, au bout la barre en bois bien fixée dans le sol pour savoir où se tenir au moment de lancer et deux habitués, déjà en pleine partie, sans oublier bien sur les spectateurs au bar qui partagent leurs répliques, leurs onomatopées et leurs éclats de rire entre la cible et l’écran de la télévision, en boucle sur les infos ou le sport ou les deux. Pas mieux pour une entrée en matière. Ensuite petite balade dans la ville, les maisons toutes en pierres, mais jamais faites pareilles, les places, les placettes, rues plutôt commerçantes ou bien résidentielles, avec le port comme centre de demi-cercle, l’océan jamais loin, parfois même les maisons construites les pieds dans l’eau. De l’eau, encore, un peu plus tard sous forme de pluie, fine et pas bien méchante, mais depuis 1471, les Shetlands sont sous administration écossaise, alors le pot de bienvenue c’est toujours façon douche, pour fêter comme il faut ce premier jour sur l’île. Une bonne raison pour se réfugier et manger dans un des nombreux restaurants de la ville. Cuisine népalaise, indienne, chinoise, fish and chips, brasserie, comme un peu partout en Écosse et au Royaume-Uni. Mais pour manger local, le choix sera vite fait, un coup d’œil autour de soi, et ce sera agneau, poisson ou fruits de mer. Après le repas, rentrer tranquillement à pied jusqu’à l’appartement. Déjà pas mal de choses dans cette première journée. Les lampadaires font briller les dalles d’ardoise humidifiées par la bruine, les maisons n’ont pas de volets, mais le sombre suffit à les replier sur elles-mêmes, c’est une autre Lerwick après le soleil de l’après-midi, une Lerwick jalouse du sommeil de ses gens.
Pour demain la météo annonce encore du beau, on verra.
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Semaine de beau temps, printemps. Le calendrier dit non, le merle du matin qui chante le réveil dirait plutôt, évidemment en hauss,ant les épaules, tu n’as qu’à ouvrir la fenêtre, sors donc tu verras par toi-même. Sortons donc. Le dehors se remplit de tout ce que l’on voit, de ce qu’on ne voit pas, et puis principalement de tout ce qu’on n’a pas encore vu. Pas si simple de les voir, toutes ces nouveautés, il faut les regarder et parfois les chercher, garder une petite place dans nos têtes encombrées pour que l’image reste de ce que nos yeux ont approché, juste frôlé, effleuré. Comme parler du même livre avec une autre personne qui aura repéré un passage différent, un aspect différent, parfois si différent qu’on relira le livre pour y lire ça aussi qui nous a échappé. Heureusement pour les fleurs, les couleurs nous aident. Le jaune jaune des jonquilles se verra de plus loin que le jaune clair des primevères, le longue distance jaune vert des hellébores d’hiver, présentes depuis longtemps. Et puis d’autres couleurs, le violet du crocus, le pourpre du lamier et sa gueule grande ouverte, mais aussi les odeurs avec celle des violettes qui s’installent en groupe, plus rarement isolées, ce qui aide à les voir même quand, en se promenant, on penserait à autre chose, à cet état du monde du côté des humains qui laisse peu de place pour les admirations. Avec le chaud reviennent aussi les animaux qu’on avait oubliés, comme les petits lézards, timides mais curieux avec qui on s’exerce à jouer au plus patient, aussi beaucoup de volants, les mouches et les moucherons et les premières abeilles, impatientes, imprudentes. Quand on regarde plus grand, se repaître des formes de la terre encore nue, des grattements des sous-bois qui sont lits pour un jour, quand aux endroits ouverts les vielles enveloppes des végétaux jaunis, aplatis par la neige laissent encore apparaitre, creux et bosses, bosselettes avant que les herbes nouvelles n’imposent au relief leurs vallonnements à elles suivant leurs tailles à elles et leurs contraintes à elles qui changent les paysages, gommant et creux et bosses pour en inventer d’autres juste le temps d’une été. Texture de perspective qui se laissera faire par les caresses du vent, se penchera sous la pluie ou le trop de soleil, mais remplacera quand même les vagues de la terre par ses vagues à elle en attendant l’hiver qui effacera le tableau
Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite
Granuleux, fibreux, lisse, râpeux, piquant, doux, rugueux, humide, soyeux, velouté, cireux, gras, sec, visqueux, collant, les mots de la texture nous parlent du bout des doigts dans le creux de l’oreille. Suivre les veines du bois, imaginer sa vie, les sécheresses et les pluies ou la cire deux fois l’an et compter les anneaux qui racontent sa vie. Au départ la texture s’occupait du tissu, du tissage et des fils, de leur disposition, de leurs entrecroisements. Et puis comme d’habitude pour beaucoup de nos mots, l’usage s’est étendu. Pour tâter de la texture, rien ne vaudra les doigts, leur peau pleine d’attention saura lire sans faiblir les adjectifs écrits tout en haut de cette page, même si le rêche des jours et des travaux râpeux lui font une carapace. Les yeux aussi pourront questionner la texture, dire là où ils regardent et la façon ensuite de la rendre en dessin, à plat sombres, pointillés, lignes courbes ondulantes, gribouillis erratiques ou traits serrés au chaud, doux comme une fourrure, points pour dire le piquant ou lames pour le coupant, douces ondulations pour la campagne tranquille, lignes droites toutes en angles pour les immeubles des villes et puis un peu partout suivre les veines du bois. Et puis de tous nos sens reste le sens littéraire, dans texture il y a texte pour dire granuleux, fibreux, lisse, râpeux, piquant, doux, rugueux, humide, soyeux, velouté, cireux, gras, sec, visqueux, collant, sans besoin de toucher, sans lumière et sans ombre, simplement grâce aux mots. Alors reste la question de la texture du texte, de son style, de sa forme, en bloc ou paragraphe, lignes désalignées, caractères bien choisis, en forme, en taille, en graisse et en ponctuation, même écrit dans une langue qu’on ne connaîtrait pas, il serait harmonieux à l’œil qui le toucherait. Mais reste l’essentiel, la texture du dedans, que le rugissement des mots, leurs cris, leurs calmes tendres ou leurs émerveillements ne contredisent pas la belle présentation et le papier bouffant. Pourvu que la texture que l’on voit au-dehors fasse sens et réponse à la texture des mots, la texture des échos qui resteront toujours gravés dans nos mémoires
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Semaine de temps couvert, nuages, pluie et puis brume avec même un peu de neige, ciel à texture variable, contrastes et valeurs pour faire une œuvre d’art de chaque regard en haut, un tableau d’Angleterre, de Turner, de Constable. Musée à ciel ouvert, musée de cieux couverts. Pour les couleurs aussi tout se passe là-haut, en attendant les fleurs qui s’apprêtent tranquillement dans le confort contraint de leurs douillets boutons, arc en ciel, crépuscules et levers de soleil sont là pour compléter les palettes un peu ternes des jours simplement gris. Mais le gris est bienvenu aux environs de la mare pour la tranquillité de tous les nouveau-nés. La nurserie se rempli, petites salamandres avec déjà aux pattes deux minces taches jaunes, en attendant les autres qui viendront avec l’âge et cette mutation des plus définitives pour respirer dans l’air et plus du tout dans l’eau. Oublier un moment, à la faveur des brumes, les vues qui portent loin et reposer les yeux sur les détails du près, ce qui est à nos pieds et qu’on ne voyait plus. Attention aux indices, exercices de devinettes et jeu d’observation, des points jaunes sur les pattes des habitants de la mare aux bourgeons qui s’étirent, qui pensent même à s’ouvrir, si bien qu’on commence presque à voir qui vient en dessous, la couleur de la fleur ou le vert de la feuille. Voir c’est déjà beaucoup, mais ce serait oublier toutes les autres antennes qui nous aident à connaître le monde autour de nous, à écouter le printemps, les oiseaux qui s’agitent et s’affairent pour le nid, pour trouver l’aile sœur, mais aussi, ce printemps, le humer, le toucher et même le déguster. Nos papilles en salivent, de toutes ces petites herbes, moelleuses et bien tentantes après les mois d’hiver remplis de pâteux raves ou de coriaces tiges qui résistent certes au froid, mais manquent parfois de finesse au moins de diversité, alors est bienvenu le temps des feuilles tendres et des douces verdures, on accepte même l’amer comme pâle contrepartie au retour des salades et des petites herbes : plus de sorties sans avoir en tête cette secrète carte des bons coins pour trouver telle herbette ou telle autre, apprendre à les connaître et à les reconnaître, un hommage à tous ceux et surtout à toutes celles parmi tous nos ancêtres qui n’ont dû leur survie, plus souvent leur santé et celle de leurs proches qu’à ces herbes de printemps.
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Février. Juste les sommets blanchis pour bien nous rappeler que le mois de février est encore en hiver. Hiver, été, calendrier, inventions des humains, bien loin de la nature, de ses saisons à elle avec ses départs tôt, ses départs plus tard, et ses départs volés qui seront vite sanctionnés par une gelée tardive. Mais les fleurs tentent quand même de sortir un pétale, voire toute une corolle pour être la première à fleurir au parterre, comme cette petite fraise encore timide et frêle, cachée parmi les feuilles et les tiges rassurantes contre les coups de froid dans leur jolie fourrure. Alors les petites fraises pointent le bout de leur nez, le cœur dans les pétales d’un blanc éblouissant avant de faire les grandes, de se farder d’un rouge d’une écarlate beauté. Le vert n’est pas en reste, les premières feuilles sont là, elles se dressent, se déplient, se défroissent et s’affirment, elles ouvrent grand leurs becs, avides de l’humide et puis de la lumière. Le vert c’est le signal aussi pour les chamois qui descendent, s’enhardissent, se risquent à découvert pour ces herbes si tendres. Dure vie que celle des plantes qui ne peuvent se sauver devant leurs prédateurs. Mais c’est vite oublier que nul n’est à l’abri, et que tout ce qui vit finira tôt ou tard dans la gueule d’un microbe ou d’une bactérie. Tout le secret de la vie réside donc dans le tard du fameux tôt ou tard. Alors pour que ce tard soit le plus tard possible, toute stratégie est bonne, comme se charger d’amer en suivant le pissenlit ou vivre plutôt de nuit comme la chouette hulotte qui hulule à la lune quand la nuit est tranquille. Le printemps est le temps pour penser à l’avenir, temps d’affiner son chant et de farder ses plumes, de faire les plus belles fleurs qui auront toutes les chances de faire les meilleurs fruits ou de se creuser une loge avec vue sur la mer ou au moins sur le large quand on vit en montagne et qu’on est un pic noir, un pic vert, pic épeiche ou n’importe quel pic impatient de piquer. Alors on ne saura pas quelle mouche nous a piqués, mais impatience aussi du côté des humains qui commencent les semis ou gratouillent au jardin. Pour ceux qui ont moins de vert tout autour de chez eux, temps de lever les yeux sur les arbres des avenues ou bien de les baisser sur les vertes intrépides qui repoussent les pavés pour se faire une place et verdiraient les villes si on les laissait faire, nous autres humains peu clairs qui se plaignent du gris en arrachant le vert
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Le temps qu’il fait, la météo, au-delà de mettre un pull, parapluie ou bonnet, c’est la vie et la mort pour beaucoup du dehors. Eau, neige, glace, vent, chaleur, ombre et lumière, c’est ça qui donne le la, la couleur et l’à venir quand on ouvre la porte le matin au réveil. Tandis que pour le dehors, le temps de la météo est aussi continu que le temps des horloges, le vent, le froid, l’humide ne font jamais de pause le soir au coin du feu. Pas de cabanes pour primevères, alors les enjeux changent, ils se font plus pressants, plus dramatiques aussi quand on a que sa peau, son écorce, sa coquille pour servir de refuge. Et le dilemme est grand, sortir dès qu’il fait beau, rallonger sa saison et ses chances de faire graine ou jouer la prudence pour éviter le gel et la perte des espoirs pour l’année à venir. Quand on arrive là sans savoir le temps d’avant, pour connaître l’humide, juste regarder les mousses et celles de la famille, les petites si costaudes, des pionnières, des premières sur les troncs, les rochers, sur tout ce qui est gris. Les feuilles le long du corps pour ne pas laisser le sec ou le vent ou le gel emmener toute leur eau, elles deviennent rêches et sèches, mais reprennent leur joufflu dès que la pluie revient. Ou bien l’humidité d’un brouillard lourd et dense qui fait pull en grosse laine avec chaud col roulé. Pour nous autres humains, quand le brouillard est là, le regard arrêté se pose un peu plus près, sur ce qu’on ne voyait plus ou qu’on ne voyait pas. Bourgeons qui tirent doucement sur la main de leur branche, qui veulent devenir grands, qui veulent se mettre au vert, avoir leurs feuilles à eux, et puis leurs fleurs à eux et puis leurs fruits à eux, qui veulent devenir arbres, comme le chêne centenaire qui les regarde de haut, eux qui se voient déjà là, squatter la canopée, qui nous donnent le sourire par leur bel enthousiasme, leur fraîcheur juste née, leur fierté enfantine, bourgeons de noisetier qui jouent les rois soleil dans un rayon de lumière