Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite
Les perspectives d’avenir épargnées par le sombre sont de loin les plus rares. Plus souvent sur le monde est cette soif comme un gouffre de toujours faire combat, ces belliquosités qu’on peine tant à soigner. Perspective en dents de scie, ligne trop souvent brisée. Les perspectives d’espaces sont elles universelles, celles qui nous parlent tout bas de ces espèces d’espaces qu’on croit pourtant connaître, mais qui à chaque regard se dérobent et basculent, se griment et se transforment au moindre pas de côté qui déplace notre œil. Géométrie, dessin, plan en bleu très sérieux, projection et points de fuite, travail en perspective pour que tout soit exact. Retour aux règles de base, aux principes fondateurs qui nous donnent les clés pour faire de notre monde une copie aplanie, aplatie, compressée, repliée sur elle-même, pour essayer de dire cette dimension perdue. Oui, mais plier comment, les arêtes, les rondeurs, le choix sera décisif. Perspective cavalière, linéaire, centrale, conique, cylindrique, aérienne, isométrique, curviligne… Les possibilités abondent, alors choisir la bonne, celle qui convient le mieux de qui voudra l’écrire à qui voudra la lire. L’idée est de se comprendre, émettre le message, dire ce que les yeux ont vu de sorte que d’autres yeux puissent voir la même chose sans devoir se plier ni au lieu ni au temps. Ma perspective à moi fera exister l’objet, mais suivant mon point de vue, mes importances à moi. L’idée sera d’avoir un langage en commun pour vous la raconter. Savoir que les choses plus loin n’en seront que plus petites et plus pâles et plus fines. Oui, mais savoir aussi que la cime du sapin n’est pas seulement plus fine parce qu’elle est loin en haut, mais aussi car le tronc va en s’amincissant, évidence flagrante lorsque l’arbre est à terre, baleine des forêts aux côtes comme des branches, innombrables bras en croix. Trompeuses et pas si simples toutes ces perspectives-là, la vie sans mode d’emploi. Alors, continuer à écrire et écrire même si les premiers mots tout comme les derniers nous paraissent si loin qu’on s’en souvient à peine, qu’on les pressent à peine. Reste la belle perspective d’avancer dans le livre
Très beau texte Juliette, une ligne claire dans le sombre