Archives mensuelles : août 2024

Liens

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Lierre, liseron, liane, ils ont tous dans l’idée de se lier, de s’allier, de nouer des relations, en bref, créer des liens. Des liens en vrai de vrai, solides comme des ponts, un tour mort deux demi-clés qui n’ont jamais lâché, l’huitre sur son rocher ou ces chaînes qui enchaînent. Les plantes font plus subtiles, elles s’accrochent, elles s’agrippent, mais à leur rythme à elles, elles s’enroulent, se cramponnent. Elles construisent patiemment, un réseau très pointu, sophistiqué, subtil, comme les vrilles de la vigne ou les crampons du lierre, ces ventouses délicates, petits bras qui embrassent les bien plus grands que soi, qui font encore du vert sur ces arbres, qu’on dit morts. Parfois les liens des plantes passeront par le sous-sol, de racine à racine, ces branches souterraines. Entre arbres et champignons, on connaît bien l’histoire et on se réjouit des fruits de leurs dialogues autour d’un panier plein des chapeaux veloutés et des ronds pieds charnus qui finissent dans la poêle les jours humides d’automne. Parfois, les liens seront moins facilement visibles. Poivron et aubergine se rejoignent d’évidence dans les casseroles d’été, comme le piquant piment ou la douce pomme de terre, leur lien est botanique, ils sont solanacées, tout comme le tabac ou bien la mandragore qu’il vaut mieux éviter de mettre dans le caquelon. Les liens de la famille qu’on dit les liens du sang, même s’ils sont des liens forts sont rarement sans frottements tels un long fleuve tranquille. Comme ces liens qui assurent la cordée d’alpinistes ou les entraves posées aux chevilles des esclaves, le lien pourra avoir des nuances claires ou sombres. On souhaitera parfois sectionner certains liens qui nous traînent en des lieux qui ne nous conviennent pas ou en conforter d’autres qui s’étaient détendus. Les liens chez les humains se construisent souvent à travers le langage, et de fil en aiguille, par le biais bienvenu des allitérations, on vient enfin au livre, comme un lien fort et clair qui réunit qui lit avec qui a écrit, ligotés par les mots, les phrases et les histoires qui s’alignent sur les feuilles du bord coupé des pages jusqu’à la reliure

Et pour les liens modernes , voir cet autre article des Enlivreurs, récemment mis à jour.

Eau

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Une goutte comme un o ce serait quand même trop simple, alors l’eau a trois lettres pour faire le seul son o. Pour qu’on reconnaisse enfin, sa si grande valeur, son importance première. Cette eau qui est en nous, qu’on aime autour de nous, condition nécessaire et souvent suffisante. On aime le bruit de l’eau, goutte à goutte sur la mousse là-haut dans la montagne, torrent qui batifole, sautille entre les pierres et se joue des branches d’arbre qui tombent dans son lit, les embarque, joueuse, dans une folle sarabande. On aime tremper ses pieds dans l’eau fraîche du ruisseau après une belle balade, juste y tremper la main comme on enfile un gant quand le froid nous saisi et saisit une à une chacune de nos phalanges, chaque jointure une à une pour les habiller de bulles comme d’autant de brillants. On aime aussi les vagues, s’y plonger en entier, y faire le papillon ou au moins essayer, bien loin des nages subtiles et tellement efficaces des animaux marins. On aime humer l’eau, la goûter, juste la boire quand elle n’a pas d’odeur, un subtil goût de frais loin du nauséabond ou même de l’eau de javel. L’eau, la plupart du temps laisse passer nos regards en les déviant à peine, mais parfois elle se fige en une surface rebelle qui va tout renvoyer, y compris la lumière et renvoyer l’image telle qu’elle l’aura reçue, à une symétrie près. Magie de sa surface qui accepte, dans un plouf, qui lui tombe dans les bras, sauf bien sûr ce qui flotte, le léger ou le creux, nos radeaux, nos bateaux. C’est bien ça son problème, elle est trop accueillante. Malgré tout ce qu’on lui jette que ce soit bon ou non pour sa santé à elle, elle nous prend sur son dos, il suffit simplement de quelques lettres en plus, pour qu’à partir de l’eau on construise un bateau. Pour déclarer nos flammes, à l’eau, même la plus simple, sans qu’elle soit de jouvence ou claire comme de l’eau de roche, il nous faudrait des meauts et pas seulement des mots, pour dire qu’encore pendant longtemps, disons une bonne poignée de longues éternités, on souhaite vivement qu’elle continue toujours à juste couler de source sous tous les ponts du monde

Marmotte

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

C’est la reine des alpages, pelage beige, gris, brun sombre, petites oreilles, yeux noirs, et museau expressif, silhouette replète à la fin de l’été, curieuse et facétieuse, elle nous plait beaucoup trop, qualité dommageable pour sa tranquillité, mais aussi sa santé et son identité. On l’utilise partout pour des publicités, pour l’image qu’on s’en fait, pour ses deux petites mains qui tiennent les aliments qu’elle grignote à belles dents et qui nous ramènent loin, bien avant les cuillères, quand, encore tout bébés, mordiller les objets nous était naturel. C’était les temps anciens où on était marmot. Marmot, marmotte, masculin, féminin, analogie trompeuse, quelques liens en commun, mais pas tant qu’on croirait. Un marmot c’est aussi, côté architecture, une figure grotesque qui fait décoration, et en particulier, pour les heurtoirs de porte. De la figure grotesque jusqu’au petit enfant, on comprend le glissement en y ajoutant juste ce qu’il faut d’ironie, évitant par là même le trop mièvre du poupon. Reste la question du genre, marmot pouvait servir même pour les petites filles, avant que le binaire ne fasse obligation, dictature génétique bien éloignée parfois du ressenti de chacun. Le marmot ferait office du neutre du mot allemand, qui assume avec Kind, un genre qui laisse la place à plus de réflexion et offre à sa grammaire une solution médiane, une place au débat, aux opinions pesées, qui admet la virgule entre zéro et un. On pourra marmonner que les lois grammaticales sont dures, mais sont les lois, mais qui écrit, parfois, se retrouve confronté à des cas délicats où on aimerait avoir plus de cas, plus de choix, des mots plus adaptés à ce que l’on veut dire, à la façon de le dire quand manque la nuance, le ton, la demi-teinte. Alors comme la marmotte qui mâchouille son brin d’herbe, on mâchouille nos mots, mais reste quand même parfois un petit goût amer qui n’aurait pas pris place au milieu de nos phrases si les règles de grammaire avaient suivi de plus près l’évolution des temps

Image

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

C’est une question d’image, de représentation. Sage comme une image, il regarde son écran, ne bouge pas d’un poil, ne remue pas un cil, immobile et figé. Il regarde son écran, l’écran qui fait écran entre lui et le monde. Il regarde son écran, privilégie l’avenir, l’image qu’il peut revoir plutôt que celle à vivre, au présent de maintenant. Dans l’avenir, son présent, en regardant l’écran sera devenu passé. L’image fait décalage, elle joue avec nos temps. L’image fait référence, elle renvoie aux moments qu’on a vécus avant, moments vécus par d’autres, aussi avant maintenant, elle interpelle nos têtes, nos souvenirs, nos rêves, réveille nos émotions. Souvenir de balade, montée raide sur la crête et en haut découvrir des chamois tout tranquilles qui broutent en contrebas, s’arrêter sur une fleur et sur le paysage, tacheté par les nuages, en volutes, en pétales, vallée en perspective avec l’eau qui s’écoule dans le creux de ses mains, le doux vert des alpages, quelques buissons plus sombres, arbres aux ramures tordues, torturées par l’hiver et le poids de la neige. Quelques rochers aussi pour ne pas oublier le socle minéral qui façonne le relief de sommet en vallée. Image en métaphore quand on n’a pas le souvenir, quand il suffit d’un mot pour se faire tout un monde, quand on lira vallée, on aura tous en tête deux rives en pentes vertes et de l’eau tout en bas. Toutes ces images d’avant font appel au passé, au souvenir, aux traces et à nos références mais parfois c’est l’inverse, l’image vient en premier, elle commence dans une tête, dans un imaginaire. Ce serait d’abord une île, rocher noir sur mer sombre et sous un ciel de plomb, avec en son sommet juste le point blanc d’un phare, tout au nord de l’Écosse. Image de départ qu’il retouche comme il veut, comme il en a envie et comme il s’imagine une île des Caraïbes, sable blanc et palmiers, et puis bien sûr pirates pour mettre un peu d’action, et il en fait un livre et c’est l’île au trésor. Entre image et magie, il n’y a qu’un i d’écart au jeu des anagrammes, à chacun de choisir où il mettra cette lettre suivant sa perception du temps qui est passé et puis qui passera, mais qui ne repassera pas

Liens

Liste non exhaustive, qui ne sera jamais close, pleine d'oublis, de ratures dramatiques, d'honteuses omissions, mais toute pleine de coups de cœurs.
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