Archives mensuelles : juillet 2024

Mon œil !

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Mon œil ! Tout, pour comprendre l’idée, est dans l’exclamation, dans le trait et le point, et dans le geste aussi, l’index sous la paupière qui dévoile un peu de blanc de notre œil pas si bête pour signifier à l’autre qu’on ne croit pas un mot de ce qui est énoncé, des promesses de carton qu’on voudrait nous faire prendre pour des lanternes vraies, de quoi nous éclairer, alors que finalement, en y regardant bien, on a tout de suite vu, on a tout de suite su, qu’il n’y aura plus qu’ombre dans la lumière promise et que ceux qui y croient se mettent le doigt dans l’œil. Que nos yeux soient de biche ou de braise ou de lynx dans tout ce qu’ils perçoivent viendra se faire un choix. De ce qui est devant nous, nos têtes reçoivent l’image, c’est à elles que revient la tâche délicate, compliquée, décisive, de choisir dans l’image ce qu’on en retiendra, la chose, la couleur, la forme ou le détail qui nous tapera dans l’œil. À nos entendements revient aussi le devoir de ne pas se laisser faire, ne pas croire qu’il n’y a rien, là, derrière le brouillard, que ce qui éblouit n’est souvent que renvoi d’une lumière lointaine, que les couleurs, parfois, ne sont pas celles qu’on voit, que le flou vient de nous et non pas des objets. Ne pas se laisser croire qu’un arbre seul sur la crête est le seul alentour, que derrière la petite butte il n’y a que du blanc tandis que sur la carte et dans nos souvenirs, le relief est tout autre, de pics et de sommets, de cols et de vallées, encore couverts de neige quand leur pente le permet, bien loin des myrtilliers et des rhododendrons aux couleurs chatoyantes et aux courbes avenantes. Saisissant tout ce qu’ils peuvent pour peu qu’on ne les ferme pas, nos yeux nourrissent nos têtes, tout comme nos papilles, nos oreilles, notre nez et le bout de nos doigts. Mais ils ne sont pas seuls, ces sens qui font le lien entre soi et le monde, et voir ce qu’on ne voit pas ça se fait grâce aux mots, qui sont et resteront pour tous ceux qui s’en servent loin des aveuglements et des facilités de qui se contenterait d’un simple petit coup d’œil, la prunelle de leurs yeux

Habiter

Pour ne pas oublier tout ce qu’on oublie toujours, toujours un peu trop vite

Être au sec quand il pleut, être au chaud quand il gèle, être au calme quand il vente. Habiter la montagne ou le bord de la mer ou bien à la campagne ou encore dans la ville. Un toit et quatre murs, habiter en humain dans nos douces habitudes. D’autres habitent autrement. La plupart des autres bêtes qui vivent avec nous sur la peau de la terre, tout comme dans l’eau des mers, n’habitent pas du tout. Pour beaucoup ils occupent un morceau de savane, un creux dans le récif ou un bout de forêt sans jamais rien construire ou alors juste un nid pour faire naître et élever les petits rejetons qui complèteront l’espèce. Habiter dans un nid n’est pas toujours si simple, d’abord creuser le nid pour ceux qui sont des pics, ce sera dans un arbre que d’autres diraient mort, le creuser dans la terre quand on est macareux et qu’on veut habiter avec la vue sur mer tout en haut d’une falaise. Tous les nids ne se creusent pas, pour bien d’autres espèces, il faudra le construire, le bâtir, le tisser, le refaire tous les ans, l’arranger tous les ans, en changer tous les ans ou comme le coucou, aller pondre ses œufs dans le nid de quelqu’un d’autre. Car le nid des oiseaux, c’est juste une histoire d’œufs, une histoire de petits et le reste du temps, ils vivent au fil de l’eau, comme l’oiseau sur la branche, ils n’habitent pas vraiment, dorment à la belle étoile, que le temps soit clair ou non, un peu comme le nomade n’habite que ses habits, juste ce qu’il peut porter, en plus de ses idées, ses souvenirs, ses pensées qui ne le quittent pas. Habiter une idée, être habité par elle, lui faire une place de choix au milieu de sa tête, au cœur de ce qu’on voit, ce qu’on sent, ce qu’on goûte, qu’on touche et qu’on entend, de ce qu’on imagine, une cabane dans les bois d’où l’on part juste pour voir, où on revient chaque soir se blottir loin du noir, obsession comme un gaz qui prendrait toute la place sans jamais renoncer à la moindre parcelle de nos têtes, de nos mots, c’est comme quand on écrit, habiter dans son texte, être habitée par lui