En passant, petites images glanées au gré d'ici ou là. Écluse du canal Saint-Martin, Paris, juin 2023
Écluse, écluser, éclusons. Un bassin, deux portes, amont et aval. Faire entrer l’eau d’un côté, la laisser ressortir de l’autre, fermer ici et ouvrir là pour que les bateaux puissent monter ou descendre la rivière sans avoir à monter ou descendre le courant. Prendre de l’altitude ou au contraire en perdre, par la seule force de l’eau et de l’ingéniosité d’ingénieux du passé. Rivière domptée enfermée, corsetée. Elle coule dans un lit qu’elle ne s’est pas choisi, même si elle coule encore, elle coule canalisée. Couler domptée est-ce toujours couler ou juste s’écouler ? Spectatrice de son cours sans pouvoir être actrice. Restent quelques oiseaux à voler tout autour. On ne les entend pas au milieu des voitures mais on les voit voler, où on ne peut pas marcher, où on ne peut pas nager parce que c’est dessiné sur la berge en béton et barré d’un trait rouge. Interdit de ceci, interdit de cela, de ces écluses de ville ne garder que de l’eau, se concentrer sur l’eau et sur le bruit de l’eau, sur les reflets de l’eau, sur tout ce que l’eau nous dit, oublier sa couleur, oublier son odeur. Se laisser transporter, partir en goutte à goutte, repartir de la source, de sa transparence pure qui se faufile sous la mousse, espiègle et opiniâtre, de ses bonds de chamois sur des pierres de torrents, de ses siestes lascives au milieu des fines herbes et des sabots de vaches, voir comme apprentissage de ce qu’elle ne veut pas, ce passage par la ville, ses voitures, ses immeubles, ses gens indifférents qui la regardent en cage comme dans un zoo, ronger ses portes d’écluse et sa mélancolie. Heureusement à la fin dans la vie de toute goutte viendra la grande mer, ses vagues et ses grands fonds, et ses lieux de légende beaux d’être inaccessibles, le maelström de Poe , les roches Douvres de Hugo ou bien l’île au trésor de R. L. Stevenson. À force d’écluser les rêves des passants, les eaux un temps soumises du canal Saint-Martin feront sûrement un jour des graines d’océan
Suivre le fil de l’eau comme suivre tes mots Juliette sans mélancolie avec beaucoup d’intérêt toujours
Les mots au fil de l’eau… Belle image !
Avec St nous avions emmené notre petit-fils en voyage 4 jours à Paris pour son anniversaire. St était déjà très malade. C’était en 2017.. Nous l’avions emmené voir ces écluses. Il avait beaucoup aimé. Mais c’est vrai que la vie s’y écoule dans l’indifférence générale. J’avais bien aimé ce coin…dont rien ne choque l’œil…ne l’attire vraiment..
Ton texte est magnifique, une dentelle sur l’eau…merci
Merci de ton passage Agnès ! Oui, les écluses restent une invention fascinante, d’une grande ingéniosité. Quant au canal Saint-Martin, les arbres, l’eau, une petite parenthèse dans la ville, idéal pour y poser des mots 😉