"Faites parler les images" est un atelier d'écriture en ligne, mis en place et animé conjointement avec la photographe Céline Jentzsch. À retrouver sur son site, rubrique blog, en compagnie de ses plus belles images !
Les rideaux
Violet ? Orange, peut-être c’est plus lumineux. Avec des motifs ? Évidemment ! Vert ? Ça ferait penser au printemps. Ou bleu pour rappeler le lac en été. Marron, ? Non, pas marron, c’est tout triste. Ou orange foncé. C’est pas mal non plus orange foncé. Pour la matière, je préfère quand ça brille. Donc pas du coton. Le coton est peut-être plus naturel que le polyester, mais c’est mat, ça n’accrochera pas la lumière. Ensuite, quel que soit le tissu, ils sont tous suffisamment épais pour qu’on ne puisse pas voir l’intérieur de la bania quand on sera dehors. C’est bien ça qui compte pour des rideaux ! Elle se sentira sûrement mieux comme ça. Il y aura moins de lumière mais plus d’intimité à l’intérieur de la cabane pour le bain. Sans oublier le côté esthétique. J’ai l’impression que les femmes aiment bien les rideaux, lorsque j’y repense, ma mère et surtout ma grand-mère y prêtaient beaucoup d’attention, aux rideaux.
Je trouve ça bien que l’institut d’ornithologie embauche des femmes maintenant. Au début j’étais un peu inquiet quand Sergueï est parti à la retraite. On faisait vraiment une bonne équipe tous les deux. Mais comme c’est l’institut qui constitue les binômes et qu’on n’a rien à dire, j’aurais pu tomber sur ce poivrot de Vladimir ou sur l’ancien équipier de Sergueï, celui avec qui il avait fini par se battre. Là, je pense qu’avec Natalia, j’ai eu de la chance. Pour la compétence, je ne me pose aucune question : quand on a le diplôme à vingt-trois ans et avec les honneurs, pas de doute, elle saura faire la différence entre un héron et une mouette ! Je ne pense pas non plus que les marches avec le sac à dos ou les affuts de nuit lui poseront problème : elle a des mains presque aussi grandes que les miennes et des épaules solides, malgré sa silhouette très féminine.
C’est juste pour ça que je m’interroge. Un peu. C’est une femme, et je n’ai jamais fait de campagne de comptage avec une femme, encore moins pour six mois. Mais je ne vois pas où ça pourrait poser problème finalement. Elle saura compter les oiseaux et les reconnaitre, c’est tout ce qui compte. Pour l’organisation de la vie à la cabane, on fera comme avec Sergueï, une semaine de corvées chacun son tour et les gros travaux en commun. Mais je pense quand même qu’on va bien se comprendre. Quand elle sourit j’ai aussi envie de sourire. Elle a de jolies dents blanches toutes bien alignées : elle chique sûrement moins que Sergueï !
C’est juste son regard, avec ses grands yeux sombres qui me gênent un peu : quand elle me parlait la semaine dernière, j’avais l’impression d’avoir des papillons dans l’estomac … J’essayerai de ne pas trop la regarder, voilà tout. Par contre, elle sentait vraiment bon la dernière fois que je l’aie vue à l’institut. Il va falloir que je me lave plus souvent et il faut absolument que je passe chez le coiffeur avant de partir ! Je vais peut-être acheter un deuxième bonnet aussi. Pour pouvoir laver le mien. Pour les fleurs en plastique que j’ai vues chez le marchand du bout de la rue, j’hésite encore. Ça mettrait un peu de couleur dans la cabane cet hiver. Mais il ne faudrait pas qu’elle trouve ça déplacé. On sera simplement des collègues de travail, après tout…
Pour lire les textes des autres participants à l’atelier, c’est ici : http://celinejentzsch.com/faites-parler-les-images-4/