"Faites parler les images" est un atelier d'écriture en ligne, mis en place et animé conjointement avec la photographe Céline Jentzsch. À retrouver sur son site, rubrique blog, en compagnie de ses plus belles images !
Le portrait
Quand j’avais appris que mon reportage allait être publié dans le journal, j’avais déjà trépigné de joie en tournant sur place comme un fakir qui a trouvé un gros tas de braises bien rouges ! Mais maintenant, un magazine littéraire international, une audience multipliée par dix, par cent, une reconnaissance nationale voire internationale de mon travail et de celui de cette grande dame que j’admire tant, Marguerite Woolf, sujet de ce portrait …. Je ne sais plus comment me calmer, et ça fait deux jours…
Marguerite Woolf a toujours fait partie de ces autrices que je lis, relis et chez lesquelles je picore sans jamais m’en lasser. À chaque fois que je m’y plonge, je découvre de nouvelles images, de nouvelles articulations, des références, des tournures de phrases qui augmentent encore mon admiration pour cette autrice. Ses personnages, ses situations, ses descriptions, ses engagements, sa façon de nous emmener dans son monde, de nous y faire vivre et de faire qu’on s’y sente bien, une telle maîtrise m’a toujours fascinée, cette façon de jouer avec la forme de la phrase pour sculpter ses histoires, leur donner force et vie…
Quand elle a accepté de me rencontrer et de répondre à mes questions, je me suis retrouvée sur un petit nuage, j’avais tellement de choses à lui demander ! J’ai accumulé les notes, les questions, les remarques dans des carnets, sur des morceaux de papiers, sur mon ordinateur, des notes sur mon téléphone. Et le grand jour du rendez-vous est enfin arrivé. Devant la porte j’avais les genoux en coton, les mains moites et l’estomac à l’envers. Même le lieu m’impressionnait. Une ancienne boutique, toute décrépite, devanture en bow-window poussiéreuse, porte aux couleurs sales, délavées et passées de mode depuis plusieurs générations. Pour éviter que les regards de l’extérieur ne viennent troubler les réflexions intérieures et que la pensée de l’intérieur ne s’égare à l’extérieur, un lourd rideau aux motifs vaguement botaniques dans les tons rouge-marron foncé, pend et sépare les deux mondes. À l’intérieur, un couloir nu, hormis des piles de journaux soigneusement ficelés entassés sur le sol. À droite, son bureau, qui communique avec le bureau de derrière, celui de Hari, son secrétaire. Travail au rez-de-chaussée, et ensuite un étage chacun pour le reste de la vie, quand il en reste entre les tranches d’écriture, de la vie. De l’extérieur, ce qui est impressionnant, c’est la pile, ou plutôt le mur de livres. De l’intérieur, ce mûr-là est caché par le rideau, mais il reste deux autres murs couverts d’étagères, tout aussi remplies de livres. Pour ce qui est de la vitrine, la gestion est assurée par Hari. Marguerite, ou plutôt Ma’ comme il l’appelle affectueusement lui donne un titre, et lui patiemment, démonte la pile jusqu’au livre cherché, pour la reconstruire juste après. Avec Hari, le contact est passé tout de suite plus facilement. Avec Marguerite, j’étais impressionnée, intimidée, j’avais tellement peur de passer à côté de ma chance de pouvoir lui parler et échanger avec elle, que je n’ai pas réussi à profiter pleinement de ces moments. Côté écriture, engagement, féminisme, littérature en général, aucun souci, j’ai pu poser toutes les questions que j’avais préparées, même d’autres qui me sont venues en cours d’entretien, elle m’a consacré quasiment une journée entière, me répondant longuement, avec profondeur, attention et beaucoup de finesse. Mais dans nos échanges, le sérieux n’a que très rarement baissé la garde. Tandis qu’avec Hari, nous avons plaisanté, ri, raconté des bêtises, quasiment dès les présentations. Si bien que pour essayer de trouver un budget pour faire un film sur Marguerite, c’est à lui que j’ai demandé de m’aider à concevoir une photo d’accroche. Nous avons longtemps cherché, réfléchi, fouillé dans la maison parmi les objets susceptibles de dire sans dire cette idée de portrait, comment amener cette pensée de télé, l’épurer pour n’en garder que le cadre ? Le dossier arraché d’une vielle chaise a fini par faire office de petite lucarne, tandis qu’il s’était installé plus loin pour lire mon premier article. Vraiment, elle me plait beaucoup cette image. Initialement je devais faire la même avec Marguerite assise à la place de Hari, mais elle déteste être prise en photo. Alors finalement, je crois que je vais garder celle-là. Pas si mal, non ?
Et pour lire les textes des autres participants à l’atelier, c’est ici : http://celinejentzsch.com/faites-parler-les-images-14/